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Joan Mitchell à Caen (par Régine)

Les prétextes pour passer deux jours en Normandie cet été ne manquent pas. Il y a bien sûr la belle et déjà très commentée exposition de Nicolas de Staël "Lumières du Nord" au musée du Havre, mais il y a aussi celle de Joan Mitchell au musée de Caen qui, en plus de son intérêt, fournit l'occasion de voir ce beau musée situé dans l'enceinte du château construit par Guillaume le conquérant et qui domine la ville.

Impossible d'échapper à la puissance de l'émotion qui se dégage des tableaux peints par cette artiste américaine née en 1925, morte en 1992 et qui vécut longtemps non loin de là, à Vintheuil, au bord de la Seine. Que peignait-elle ? sa relation viscérale avec les éléments. Sismographe de sa sensibilité intérieure, son pinceau captait, avant toute élaboration, l'origine de l'émotion qu'elle éprouvait devant le spectacle de la nature.

Judicieusement accroché au début de l'exposition un étonnant et très abstrait Nymphéa de Monet, où la couleur est totalement libérée (photo 1),GEDC0026.JPG montre que l'oeuvre de Joan Mitchell est une magnifique synthèse entre l'impressionnisme français et l'expressionisme abstrait américain.

En voici quelques exemples : le grand diptyque "Tilleul" (280 x 400) (photo 2)GEDC0027.JPG, peint en 1992, peu de temps avant sa mort, qui se déploie devant vous dès l'entrée, saisit par la force de sa présence. Il faut le regarder d'un peu loin, l'appréhender comme une seule peinture et vous laisser emporter par la vigueur, la spontanéité du geste et la somptuosité des couleurs : le bleu cobalt se mélange au vert foncé, au noir profond, entachés de rose, de jaune ou de gris délicats. Les traits rapides qui courent en bas à gauche se font de plus en plus vigoureux, hauts et serrés à droite, une puissante énergie, une urgence les parcourt comme pour capter au plus près la sensation.

Les traits de pinceaux où se superposent les bleus, les blancs et les noirs jaillissent comme des flammes d'un fagot de touches noires tressées sur un fond bleu dans le bas d'un autre "Tilleul" de 1978 (photo 3)GEDC0004.JPG ; des touches jaune d'or effleurent l'ensemble et le fait scintiller ; chassé-croisé de perceptions.

Les deux tableaux qui ouvrent l'exposition font partie d'une série de 1990 intitulée "Champs" (photos 4 et 5)GEDC0029.JPG GEDC0036.JPG; ils sont étonnement structurés. Des strates étagés les uns sur les autres s'élèvent frontalement laissant sur leurs bords le blanc de la toile. Allusion au tableau de Van Gogh "Champs de blé près d'Auvers sur Oise" ? Image du temps ? la peinture y est dense, les couleurs se superposent en touches courtes, rapides et nerveuses sur l'un, plus virevoltantes sur l'autre, la matière picturale atteint ici une présence paroxysmique, magnifique exemple de peintures "peinture".

"Sans titre" de 1964 (photo 6) GEDC0002.JPGvous tient sous son emprise. Sur un fond blanc crémeux portant quelques traces de jaune et de bleu, une forme compacte reste suspendue aux 2/3 de la toile comme arrêtée en plein vol. Des touches croisées vertes, noires, bleues intense, rouges, la constitue. Des coulures de peinture s'en échappent jusqu'au bas de la toile. Joan Mitchell nous montre la condensation d'un moment de perception et elle nous en transmet la puissance émotionnelle.

On reste saisi par la fraîcheur des couleurs et l'harmonie quasiment musicale du diptyque "The sky is blue, the grass is green" de 1972 (photo 7)GEDC0001.JPG où de grandes plages de couleur circulent laissant passer l'air entre elles.

On aimerait passer en revue les autres tableaux un par un. Cela prendrait trop de place mais une palpitation parcourt cette oeuvre dans laquelle l'énergie du geste, la liberté et la précision de la touche le dispute à la beauté des couleurs et de leur matière. Abstraite cette peinture ? Certainement, mais Joan Mitchell partait toujours du spectacle qu'elle avait sous les yeux pour exprimer le plus profond de son être.

Le propos de l'exposition est aussi de confronter son travail à celui d'artistes de sa génération et plus jeunes ayant eu la nature pour sujet. Le dernier tiers de l'exposition est donc consacrée à une sélection d'oeuvres parfois un peu discutable, ainsi des deux tableaux de Riopelle, son compagnon pendant 25 ans, hélas pas les plus convaincants de ce grand peintre canadien, qui sont accrochés près des siens. Si le choix des toiles de Kirkeby "La résurrection de l'automne", et celui des "Dames de nage" de Monique Frydman dont le vert poudreux illuminent un fond sombre où tels des algues des traits flottent librement, se justifie, celui des deux grands monochromes de Judith Reigl, l'un noir, l'autre gris et du tableau très composé, fait d'aplats colorés de Shjrley Jaffe est surprenant. Plus intéressant dans la dernière petite salle sont les deux gouaches sur papier très colorées, très spontanées de cette dernière artiste qu'entourent deux lumineux pastels sur papier de Joan Mitchell ainsi que celle faite à quatre mains avec Carole Benzaken (photo 8)GEDC0013.JPG qui explose de couleur ; il en émane une jubilation et une émouvante complicité.

Deux autres expositions occupent les salles consacrées aux expositions temporaires. L'une est celle d'un beau portraitiste du XVIIème, Robert Le Vrac Tournières, l'autre d'une merveilleuse miniaturiste du XIXème, Marie-Gabrielle Capet. Toutes les deux sont bien intéressantes et très bien présentées. Elles ressuscitent des artistes quasiment inconnus, ce qui est faire oeuvre utile. Malgré tout on regrette que le totalité de cet espace n'ait pas été consacré à une grande rétrospective de Joan Mitchell, artiste de premier plan que l'on n'a pas souvent l'occasion de voir. Surtout si l'on souhaite confronter son oeuvre à celles d'artistes qui partagent des préoccupations voisines.

"En trois temps" exposition au Musée des Beaux Arts, Le Château, 14000-Caen. (02 31 47 70) jusqu'au 21 septembre - Tous les jours (sauf le mardi) de 9 h 30 à 18 h.

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