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  • La Biennale de Venise (par Régine)

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    Venise est une fête ! Plus on connait cette ville magique plus on a de plaisir à la retrouver. Y démarrer son séjour par un grand tour sur le vaporetto n° 2 est pour moi incontournable. Partant de la Place St Marc il descend lentement le grand canal, vous permet d'admirer à loisir les magnifiques palais qui le borde, puis remonte la lagune entre le Zattere et la Giudecca, marque l'arrêt à St Giorgio et vous dépose à votre point de départ, la Place St Marc. En complétant cete prise de contact par un petit tour au Marché du Rialto, on se sentirait presque vénitien.

    Cette fois-ci je n'étais pas venue pour Venise et ses peintres, Venise et ses églises, Venise et ses îles, mais pour Venise et sa Biennale d'art contemporain, étrangement appelée "Illuminations". Les commentaires dans la presse et les quelques interviews d'artistes m'ayant laissée sur ma faim, le besoin de m'en faire une idée personnelle m'obligea en quelque sorte à retourner dans cette ville mythique. Direction donc les Giardini et l'Arsenal.

    Devant cette accumulation d'oeuvres venues du monde entier quelques constantes me sont apparues. Les installations, les vidéos sont omniprésentes et beaucoup d'objets sont détournés de leur usage ; les photos et la peinture sont quasiment absentes et lorsqu'il y en a elles sont intégrées dans une installation. L'art actuel n'est pas introspectif, c'est l'état de notre monde et les problèmes de sociétés qui sont les thèmes récurrents. Le sexe et le corps, omniprésents il y a quelques années, n'occupent plus le devant de la scène. Finies les oeuvres intimes, toutes ces installations nécessitent de grands espaces, mais à Venise et notamment à l'Arsenal, cela ne pose pas de problème. Les oeuvres sont ainsi beaucoup plus destinées aux musées et aux espaces publiques qu'aux particuliers. Les artistes sont bavards : de nombreuses oeuvres s'accompagnent de notices explicatives, d'archives, ou exposent et commentent dans des vitrines leur processus créatif. Le problème de la pérennité de leur travail ne parait pas être un souci majeur pour les artistes. En laisser le souvenir, éventuellement par quelques traces, ou par le biais d'un catalogue leur suffirait-il ? L'utilisation du miroir, de la vapeur d'eau, de la cire, de la résine, le recours aux nouvelles technologies sont récurrents. Enfin si la mondialisation se fait sentir dans les medium utilisés et les thèmes, chaque artiste l'exprime à sa façon en fonction de sa culture propre et de son histoire personnelle.

    Entre Giardini et Arsenal, parmi l'abondance des oeuvres exposées, en voici quelques unes qui ont particulièrement retenu mon attention et qui illustrent les remarques précédentes.

    Parmi les pavillons nationaux, aux Giardini, Mike Nelson a entièrement transformé celui de la Grande Bretagne en caravansérail abandonné (photo 1)GEDC0060.JPG ; on erre dans un dédale sombre où tout est rouillé, poussiéreux, misérable. Sur des tables ou des appentis traînent des travaux inachevés, des instruments cassés. (photo 2) GEDC0057.JPGDes matelas par terre suggèrent que ces espaces ont été squattés. Reflet tragique et poignant de la misère du monde, du temps qui passe, d'une époque révolue.

    "Cristal et résistance" est le titre de l'oeuvre proliférante et délirante de Thomas Hirschhorn qui envahit le pavillon suisse. Le motif principal en est le cristal, qui, dit-il, grâce à ses multiple facettes, permet de voir les choses de différente façons. Avec cette oeuvre précaire, volontairement bricolée, faite de bric et de broc : GEDC0031.JPGbouts de verre, cristaux, papier d'argent, scotchGEDC0032.JPG, chaises tapissées de téléphones portables, vieilles télévisions, etc... (photos 3 et 4) Hirshhorn nous propose la vision d'un monde déglingué et une façon de l'interroger de manière totalement inattendue.

    Avec "Hasard" ou "Chance" de  Boltanski, qui occupe le pavillon français, un long ruban de photographies de nouveaux nés parcourt rapidement un immense échafaudageGEDC0050.JPG (photo 5) ; parfois une sonnette retentit et le ruban s'arrête sur un des bébés et son visage apparait alors sur le moniteur d'un ordinateur. Il est choisi par le "hasard" pour le bien ou pour le mal, c'est le destin qui décide. C'est une oeuvre intéressante mais il est dommage qu'un artiste de la génération des années 1970, déjà mille fois consacré, ait été choisi pour représenter notre pays. N'y aurait-il donc aucun jeune artiste vivant actuellement en France ?

    Jennifer et Guillermo Calzadilla sont les maîtres du détournement d'objet. Ils n'ont pas hésité à renverser un tank devant le pavillon américainGEDC0040.JPG (photo 6) et à installer un orgue à l'intérieur (photo 7)GEDC0042.JPG. A la place du siège de l'organiste est installé un guichet d'où on peut, avec sa carte de crédit, tirer de l'argent. Chaque fois que quelqu'un opère, l'orgue se déclence et joue un air religieux. Critique virulente, mais un peu primaire, d'un système basé sur la force et la sacralisation de l'argent.

    Dans le pavillon coréen, le miroir est utilisé de façon fascinante par Lee Yongbaek. Votre image se reflète dans 5 ou 6 d'entre eux accrochés dans la même pièce ; soudain ils explosent avec fracas et vous disparaissez dans les éclats de verre (photo 8)GEDC0064.JPG. Rassurez-vous, ce n'est qu'une vidéo, mais très bien réalisée. Ailleurs, dans une grande glace votre propre reflet se superpose à l'image du Christ qui elle-même se transforme peu à peu en celle du Bouddha.

    Peinture et video font bon ménage dans l'oeuvre du finlandais Vesa Pekka Rannikko. L'artiste s'active sur deux écrans géants ; sur l'un il tente de construire une perspective qui s'estompe rapidement, sur l'autre il recouvre inlassablement avec un rouleau enduit de blanc des dessins ou des gravures qui ne cessent de réapparaître. C'est beau, drôle et suggestif des rapports de l'un et l'autre medium.

    Dans le pavillon belge aec "Feuilleton - les 7 péchés capitaux" Angel Veigara allie astucieusement images et peinture. Sur les 7 écrans de la grande frise qui constitue l'oeuvre défilent rapidement des images puisées dans l'actualité ; un pinceau les attaque et les barbouille rapidement de couleur. La peinture se fait dans le temps des images et fait surgir une nouvelle réalité de laquelle on a du mal à s'arracher.

    Parmi les oeuvres qui prennent place dans l'immense pavillon central des Giardini, sous la surveillance d'une multitude de pigeons empaillés placés sur la charpente par Mauricio CatellanGEDC0013.JPG (photo 9) et du Tintoret dont quelques grandes toiles occupent la salle centrale, j'en citerai quelques unes qui échappent à l'air du temps. Les entrelacs infinis, faits au stylo bille de couleur sur de grandes feuilles de papier, de l'éthiopien Gedewon (photo 10) m'ont fait penser aux manuscrits irlandais du Moyen Age GEDC0011.JPGet la série des grandes tâches sérigraphiées de l'américain Christopher Wool à des planches agrandies du test du Rorschach. On découvre avec plaisir les beaux graphismes du français Guy de Cointet GEDC0026.JPG(photo 11) mort en 1983 et trop tôt oublié.

    Des explications détaillées accompagnent la série de photos de David Godblatt, africain du sud. Les portraits qu'il a fait d'anciens détenus sont accompagnés de longs textes qui racontent leurs parcoursGEDC0018.JPG (photo 12). Ce type de travail pose la question de la limite entre reportage photographique et oeuvre d'art.

    A l'arsenal, l'installation du zurichois Urs Fischer est sans doute l'une des plus spectaculaire de la Biennale. Elle représente une grande statue du XIXème, dans le style de celles qu'on trouve dans les squares. A ses pieds l'artiste, en costume cravate, se tient debout (photo 13)GEDC0101.JPG. Alentour plusieurs fauteuils de bureau sont dispersés. Tout est en cire à bougie P1010975.JPG(photo 14); ici ou là des mèches sont allumées, une grande partie de l'installation est donc fondue. Des bouts de statue ou d'objets gisent à terre. Dans la tête de l'artiste une flamme le consume de l'intérieur. Elle représente la fragilité de l'inspiration, la brillance des idées et la disparition. Le tout est une formidable métaphore du temps qui passe.


    .Avec une multitude d'armoires à glace défraîchies à peintre différentes les unes des autres, le chinois Song Dong a construit un dédale de pièces d'habitation (photo 15)

    GEDC0083.JPG. Elles entourent la structure laquée rouge d'une maison ancienne sur le toit de laquelle sont installés des casiers destinés aux pigeons (photo 16)GEDC0082.JPG. Ces oiseaux, qui occupaient des petits espaces tous semblables, ont-ils, dans un jeu infini de miroirs, étaient remplacés par des êtres humains ?

    Quant à Yuan Gong, il tente de réveiller d'énormes et inquiétants containers rouillés en en faisant échapper, à intervalle réguliers, d'immense jets de vapeur (photo 17)GEDC0125.JPG.

    De ce monde de désolation heureusement James Turell nous laisse entrevoir un petit coin de paradis. La beauté de son espace vaut bien l'heure d'attente pour y pénétrer. On y baigne dans une couleur impalpable et irréelle qu'on tente en vain de toucher. Bleue, rose, violette, elle évolue lentement et c'est un enchantementGEDC0109.JPG (photos 18 et 19).GEDC0112.JPG

    "Illumi nations", ce titre à double entrée, choisi par Brice Cuniger, directrice artistique de cette 54ème Biennale de Venise, suggérerait-il à la fois que l'art est sensé éclairer notre regard sur le monde et que chaque nation le fait de façon différente en dépit de la mondialisation ?

  • Giuseppe Gabellone (par Sylvie)

    Parallèlement à l'exposition de Xavier Veilhan, la galerie Perrotin présente les oeuvres de 2011 d'un autre artiste, italien celui-là, Giuseppe Gabellone, né en 1973, dont la subtilité du travail m'a enthousiasmée.

    A côté de son très médiatique voisin il tient parfaitement la route. La diversité de ses recherches débouche sur un mélange technique aussi bien dans les oeuvres elles-mêmes que dans leur multiplicité. On pourrait croire qu'il se disperse. Il n'en n'est rien. Le rapport sculpture, photographie, sérigraphie est perceptible au premier coup d'oeil, favorise une attention particulière et ouvre sur un univers des premiers âges, pétrifié.

    Fumo 2011 giuseppe-gabellone-21778_1.jpgDes 32 tirages numériques je signalerai en particulier Fumo, en deux couleurs sur papier, cadre verre, 172x132x5cm. Une image extrèmement composée, en strates, qui peut faire penser à la capture d'un instant, dans certaines oeuvres du land-art. Sur le fond, un sol craquelé; posés approximativement aux quatre coins, des briques; par dessus s'étalent trois volutes parallèles de fumées dont on devine à peine qu'elles s'inscrivent sur une plaque de verre posée sur ces appuis. La troisième dimension, très présente,  le contraste des matières et les ombres rendent l'image troublante, à la fois tactile et évanescente.

    Autre technique: les bas-reliefs (il y en a quatorze). Je les ai trouvé sublimes! Ils sont nés de moulages à la cire perdue de carton ondulé et retravaillés en aluminium. Approche surprenante, qui m'a parue assez nouvelle, d'un materiau- papier commun que Gabellone anoblise ainsi.

    Gabellone 0028.jpgGabellone 0029.jpgGabellone OO30.jpgA titre d'exemple, quelques gros plans de Sans titre 2011 vous feront voir la surface métallique, polie, d'une grande douceur, pas du tout uniforme dans sa couleur puisqu'elle laisse apparaitre des opacités et des brillances, des noirs et des gris changeants selon la lumière ou le déplacement du spectateur. Elle est travaillée soit en incisions linéaires dont le graphisme évoque le tracé de constellations, soit en groupes de rayures parallèles aléatoires  comme un dessin au téléphone, ou encore en véritables trous à la noirceur profonde. L'artiste  visiblement aime complexifier les textures, en tirer d'insoupçonnables effets tout en préservant l'âme du support, sa constitution. Ni le métal ni le graphisme ne font oublier les lignes, la volumétrie et la légèreté du carton, ses longues tubulures aérées et son effilochage de bordure. Processus lent et très subtil qui m'a rappelé le travail, sur papier, toile ou bois, de Jean Degottex. ( A voir chez Berthet-Aittouarès à Art Elysées du 20 au 24 octobre)

    Giuseppe Gabellone, galerie Perrotin, 76 rue de Turenne, 75003 Paris. tel: 01 42 16 79 79. Jusqu'au 15 octobre 2011.