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  • JAN DIBBETS - "Horizons" (par Régine)

    Pourquoi ai-je trouvé l'exposition de Jan Dibbets, intitulée "Horizons", si belle et si stimulante ? serait-ce parce que son thème permet d'allier les contraires ? (Rien en effet n'est plus réel et en même temps plus abstrait que l'horizon") ; elle m'est apparue à la fois conceptuelle et visuelle, abstraite et figurative, minimaliste et romantique.

    Qu'est-ce que l'horizon si ce n'est cette ligne imaginaire, mais bien visible, qui sépare la terre ou la mer du ciel, qui se modifie en fonction de notre position et s'éloigne lorsqu'on s'en rapproche. Il est aussi cette convention à partir de laquelle un peintre dit "réaliste" construit la perspective et donc la profondeur de la scène qu'il veut représenter. C'est une ligne que l'on voit dans la nature, dans l'art, mais qui, comme l'équateur, n'a pas d'existence.

    En Hollande, patrie de Jan Dibbets, étrange pays où la terre et la mer sont au même niveau, sa présence est obsédante ; elle a imprégné tout l'art du XVIIème au XXème siècle, et après Ruysdaël et Mondrian, il en poursuit la quête.

    L'exposition montre deux temps de réflexion de l'artiste sur ce thème : le premier dans les années 1970, le deuxième à partir de 2005.

    La première oeuvre exposée, prémonitoire de tout ce qui va suivre, date de 1969. Intitulée "Five island trip" (photo n°1) elle se présente sous la forme d'un montage associant une carte de la Hollande avec le tracé de 6 parcours, les 6 photos prises lors de ces déplacements et une description manuscrite des trajets effectués. Ce travail est très proche de ceux réalisés à la même époque par des artistes du Land art, notamment par Richard Long auquel Dibbets s'était lié lors de son séjour à Londres au St Martin College.

    Sur chaque photo tirée en noir et blanc jan dibbets 014.JPG(photo n° 1), la mer, légèrement moutonnante, est gris foncé, le ciel est gris clair. Il s'assombrit et disparaît presque complètement sur le dernier cliché. La variation de la hauteur de la ligne d'horizon, différente sur chacune d'elle, donne le sentiment de voir la mer se soulever, redescendre, se soulever à nouveau comme le mouvement des marées, celui des vagues, comme une respiration. Bien que minimaliste dans sa forme, l'idée de l'éternel retour, si chère aux romantiques m'a semblé ici sous-jacente.

    Avec les oeuvres suivantes effectuées vers 1972/1974, Dibbets va se livrer à une série d'expérimentations autour du même sujet ; ce sont des montages de photos dans lesquels la ligne d'horizon est si malmenée que le principe même d'horizontalité s'en trouve offensé. Elle se bombe ("Dutch Mountains"), prend la forme d'une vague ("Negative mountain sea") (photo n° 2)jan dibbets 030.JPG ou, renversant terre et mer, d'un rapporteur de géomêtre ("Universe-world's platform") (photo n° 3)jan dibbets 026.JPG. En dessinant un petit schéma en bas de chaque oeuvre, qui en indique la structure formelle, l'artiste nous dit précisément comment il a organisé le montage des photos qui les compose et nous donne à voir l'image et son concept ; avec les "Comets"jan dibbets 020.JPG, (photo n° 4) la taille des photos et de leur encadrement blancs sans bords, leur agencement dans l'espace transforme l'ensemble en une fusée verte ou bleue qui s'élance vers l'infini. Cette trajectoire obtenue à partir d'innombrables horizontales est si parfaite qu'elle semble faite de carreaux de faience scellés à même le mur.

    L'horizon serait-il flexible ? Quelle étrange sensation !

    Trente ans plus tard, Dibbets va reprendre une oeuvre de 1972 : "Section aurea" pour la soumettre à d'innombrables variations ; elle est composée de deux photographies, l'une représentant la ligne d'horizon prise en étau entre ciel et terre, l'autre entre ciel et mer, accolées de manière à ce qu'elle travers les deux panneaux de façon continue.

    Avec cette nouvelle série commencée en 2005, intitulée "Land see : Horizon", l'artiste va agencer ces deux images de multiples manières. Dans la plupart des oeuvres exposées, la perturbation du spectateur naît de la variation des orientations infligées alors que l'horizon reste constamment parallèle au sol (photos 5, 6, 7)jan dibbets 022.JPGjan dibbets 025.JPGjan dibbets 035.JPG. Comme le liquide d'un récipient que l'on pencherait dans différents sens, l'horizontalité de sa ligne reste imperturbable et telle une clepsydre dont l'eau ne s'écoulerait plus, le temps semble suspendu dans un espace immuable. Cette ligne qui sépare un ciel uniformément bleu clair d'une mer bleu sombre légèrement agitée et d'une prairie verte ne creuse pas l'espace. Tout reste sur le même plan. Cela, si simple et si complexe, est bien troublant.

    Avec un  minimum de moyens et une obstination comparable à celle du peintre R. Ryman qui ne peint qu'avec la couleur blanche, Yan Dibbets, depuis plus de quarante ans, s'évertue à percer le mystère d'une ligne à la fois invisible et s'offrant au regard.

    La question qu'il me semble inlassablement poser est "Que voit-on quand on voit ?"

     

    Jan DIBBETS "Horizons", Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris - 11, Avenue du Président Wilson, 75016-Paris. 01 53 67 40 00.  Jusqu'au 2 Mai de 10h à 18h sauf lundi.

     

  • Gregory Markovic (par Sylvie)

    nuage2.jpgnuage2 Markovic.jpgCe n'est probablement pas parce que Soulages et son "outrenoir" sont à la une à la grande exposition de Beaubourg mais le fait est que le noir, de nos jours, se porte bien. Il a acquis toutes les noblesses. Voyez l'uniformité vestimentaire des foules et le col roulé obligatoire de ces messieurs. Mais là n'est pas mon propos. Parlons dessin.

    Je viens de voir l'exposition de Gregory Markovic à la Galerie Particulière. Elle m'a enchantée. Surtout le grand triptyque de 2008 dont chacun des éléments atteint 164x282 cm. Il est noir, d'un noir puissant, mat, envahissant, qui laisse entrevoir des espaces blancs, du blanc éclatant au gris sourd, se déployant en nuées. Pourquoi nous emporte t'il ainsi ? Est-ce le mouvement de ces masses vaporeuses ou la profondeur du noir? Avons-nous sous les yeux un tirage photographique ou son négatif ?

    Rien de tout cela.Gregory Markovic (né en 1972) utilise la photo comme point de départ certes, pour la mise en place de ces formes aléatoires que sont les nuages mais son objectif est un travail sur la lumière, l'espace, le vide et le silence. Son médium ? Le fusain, ce gros bâton de charbon végétal brut, réputé pour ses qualités de tendresse et de friabilité, avec lequel des milliers d'étudiants en art se sont exercés au modelé des plâtres antiques. On se rappellera que, dans sa recherche des fondus et dégradés qui a culminé avec le pointillisme, Georges Seurat, au XIX ème siècle, s'en est fait un outil de choix.

    Markovic le passe et le repasse en grands gestes horizontaux. Accrochant d'abord le grain du papier- celui-ci étant choisi parce que fragile, résistant et porteur de lumière- le fusain se fait de plus en plus couvrant, unifié et lisse avec des plages satinées, presque joyeuses dans des étendues d'une opacité inquiétante. Il y a quelque chose d'opiniâtre à vouloir ainsi tout salir, et dans quelle poussière! Le geste d'un tourmenté s'abîmant dans la noirceur du monde ?  

     Après cette addition, des soustractions au doigt, au chiffon, à la gomme, au calque, à la paille de fer, au papier de verre à la recherche d'une sorte de salut, patiemment, obstinément. A force de frottements la clarté advient. "Je creuse jusqu'à la lumière". Le noir s'enfonce, le blanc renait de la cendre après l'avoir absorbée. De sa subtilité et de sa richesse vient l'éclat. Les nébulosités prennent chair et avec elles la dynamique du mouvement. Il n'est pas sûr qu'elles  soient le résultat d'une observation  stricte ou romantique de la nature comme chez les anglais Constable ou Turner. Elles ont plus à voir avec les paysages mentaux des peintres nuagistes des années 50-60, avec la même liberté.

    Enveloppé dans le grand format l'oeil se perd, entrainé dans deux dimensions, les gouffres d'un espace sans limites et les méandres des motifs engendrés. De près, les gestes inscrits sur la surface en multiples fines griffures, horizontales ou circulaires, l'animent de façon spectaculaire comme le tramage d'une soierie et participent de la vibration ressentie lorsqu'il s'en éloigne. Rien ne s'arrête, tout flotte, tout est possible. l'imaginaire s'envole.

    Gregory Markovic "Dessins", Galerie Particulière, 16 rue du Perche, 75003. Paris. 01 48 74 28 40. Jusqu'au 28 mars 2010.