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  • Max WECHSLER (par Régine)

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    L'exposition de Max Wechsler à la belle et récente galerie ETC dans le Marais, rue Saint Claude, est l'une des plus intéressante de la rentrée et il serait dommage de passer à côté.

    A la fois ascétiques, ténébreuses et puissantes, d'une grande beauté plastique, les oeuvres de cet artiste sont fascinantes. Elles nécessitent de s'y arrêter longuement et de les examiner avec attention. Noires et grises, à distance elles sont presque monochromes, de près elles révèlent un travail extrêmement subtil dont le médium est difficile à déterminer. Pas d'huile, pas d'acrylique, pas de gouache, exécutées sur des supports variés, on s'aperçoit que ces oeuvres ne sont pas peintes mais faites de mots indéchiffrables ou de fragments de papiers incroyablement travaillés.

    On apprend alors que le matériel de base de ce travail énigmatique est fait de pages imprimées et déchirées, d'une photocopieuse noire et blanc, de ciseaux, de colle et de vernis. La photocopie répétée du montage de fragments de texte est la base de ce travail. Elle permet en effet toutes sortes de manipulations : de les agrandir, les réduire, d'en faire varier les contrastes, flouter les contours, inverser le positif en négatif et réciproquement. Les fragments de papier ainsi obtenus sont ensuite collés sur un support en superpositions subtiles, recouverts de jus plus ou moins sombres puis d'une couche de vernis. Libérés du sens des mots, les lettres, devenues signes plastiques, sont ainsi passées du matériau de l'écriture à une matière picturale.

    Le format des oeuvres est variable. Certaines sont très grandes telles celles accrochées sur le mur de droite dès l'entrée. Le regard s'y noie et ces tableaux à la fois vous attirent et vous tiennent à distance. Gris très clair, dans l'un les lettres s'organisent en lignes, dans l'autre elles fourmillent et se meuvent dans le vide du support (photo 1)115.jpg. "Dans les tableaux de Max Wechsler, dit Maurice Benhamou, le vide ne constitue jamais un fond sur lequel s'inscrit la lettre, tous deux sont sur le même plan et peuvent s'absorber".

    Ailleurs, telle deux stèles, se dressent deux grand formats verticaux très sombres dont la surface a des reflets de métal (photo 2)2004-Gd Dyptique noir-245x117+245x117-papiers marouflés sur contreplaqué.jpg. Impossible d'en isoler un détail. Plongée dans la colle, enduite d'un jus sombre et figée sous le vernis les milliers de débris de mots semblent fourmiller et vibrer. Comme un tissu vivant d'apparence lisse mais où les particules circulent en un incessant mouvement.

    Ici comme ailleurs nul récit linéaire. Tous ces fragments de mots se ramifient en une multitude d'ouvertures possibles et diffusent à l'ensemble une énergie qui se communique au regardeur.

    Dans un récent papier marouflé de 2019 (photo 3)xxIMG_5706.jpg, les fragments de mots et de lettres s'organisent comme dans les dessins mescaliniens d'Henri Michaux, autour d'une arrête centrale. De cette colonne vertébrale émane une lumière qui diffuse son énergie à l'ensemble sombre, mais animée de reflets mordorés.

    A l'inverse d'Opalka qui exprime l'anéantissement par un lent processus d'effacement, Max Wechsler enfouit lettres et mots et en rend la signification et l'organisation sémantique et temporelle inaccessibles. Nous sommes face à un monde englouti où tout souvenir est dissout. Comme chez Kafka, cette oeuvre interroge des vérités cachés et inaccessibles qu'on ne connaîtra jamais. Cette peinture de murmure et de retenue peut sembler aussi signifier que l'excès d'écrit tue le sens.

    Serait-elle une interrogation devant l'invisible ? Plusieurs oeuvres y font penser, notamment trois tableaux organisés comme des pages de texte légèrement voilées de blanc (photo 4) qui peuvent être vues comme celles d'un manuscrit du Moyen Age xxIMG_5698.jpgoù un glossateur aurait apposé ses commentaires de commentaires. Le magnifique polyptyque, au fond de la deuxième salle est organisé comme ceux de la Renaissance (photo 5)1994-POL5-81,5x147 papier marouflé sur contreplaqué.jpg. Dans la partie haute de chacun des 5 diptyques qui le composent sont disséminées des lettres écrasées, méconnaissables et plongées dans le noir, tandis que dans la prédelle, plus claire, les mots se sont transformées en très légères traces de lignes. Cet ensemble aux reflets argentés n'offre aucun récit. Non exempte de mysticisme c'est une oeuvre uniquement de présence.

    Max Weschler veut-il communiquer quelque chose de son rapport au langage par l'effacement du sens ? Seul l'univers plastique peut en avoir un quand l'écrit n'en porte plus. Enfant d'une famille juive, né à Berlin en 1925, il est arrivé à Paris à l'âge de 13 ans dans un pays où parler allemand était un risque mortel. Seule solution se taire. Cette expérience traumatique façonne probablement son oeuvre. La gamme des noirs et des gris cendrés évoque la disparition dans les flammes et on ne peut s'empêcher de penser qu'il s'agit d'une référence aux évènements funestes qui ont marqué son enfance.

    On serait tenté de rapprocher cet univers de rigueur, cette façon d'utiliser et de redonner une âme à des débris de celui du peintre Degottex aussi exposé dans cette galerie dont la qualité remarquable des expositions depuis son ouverture est à souligner. 

    Max Wechsler - Galerie ETC - 28, rue Saint Claude, 75003-Paris  (09 50 77 40 07). Jusqu'au 5 octobre.