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  • Thomas HOUSEAGO (par Sylvie).

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    Sous les vastes et hautes salles du Musée de l'Art Moderne de la Ville de Paris, les oeuvres de Thomas Houseago, artiste britannique né en 1972, ont une place à leur mesure. L'espace, la lumière naturelle à travers les grandes vitres donnant sur les marbres extérieurs du bâtiment de 1937, forment un écrin monumental parfait pour des oeuvres majoritairement de grand format. Le long du parcours plus ou moins chronologique, des année 90 à Leeds, puis Amsterdam et Los Angeles aujourd'hui, il est question de la représentation de la figure humaine dans sa force et sa fragilité, deux aspects qui se lisent simultanément au sein de chaque oeuvre, suscitant sensations ou idées contradictoires. Les mediums sont artisanaux et viennent changer le regard sur la tradition de la sculpture anglaise. Ouvrier dans le bâtiment, corollaire d'une difficile vie d'artiste, Houseago a gardé la pratique des matériaux de cette profession et, de ses études, un attachement à l'histoire de l'art. On retrouve sous sa patte les influences les plus diverses: 'Henry Moore, Rodin, Picasso, Brancusi, Lupertz, Baselitz...

    20190412_155421.jpgBien ancrés dans le sol et blancs comme l'antique - ce sont des plâtres - Walking Man, L'homme qui marche, 1995, plein d'énergie, et le nonchalant nu assis, Sitting Nude, 2006 (1), s'inscrivent dans la gestuelle du quotidien, marche dynamique et musclée ou pose statique. Ils campent l'homme universel. Sont elles seulement presque humaines ces silhouettes anthropomorphes, selon le titre de l'exposition "Almost human" qui reprend les mots d'une chanson de Leonard Cohen ? Elles n'ont pas de tête et la belle assurance de l'homme assis laisse voir le vide de ses entrailles: il est tranché verticalement.

    Près d'eux, comme jetant un regard accablé sur ces humains, L'homme pressé, Man in a hurry, 2011, (2) , un colosse de bronze noir, impose sa gigantesque stature et ses 20190412_162649.jpg20190412_155922.jpg20190412_160656.jpgorbites vides, courbé sous un poids qui semble le dépasser. Tout le contraire de L'Echelle (1991) d'Etienne Martin, à voir dans le nouveau parcours du Musée.

    C'est un étrange personnage que ce  Serpent, 2008 (3), mi homme mi animal, tenant à peine debout mais lourdement ancré dans le sol - un singe aux longs bras pendants, une sorte de pantin désarticulé, comique et dramatique en même temps. Les composants multiples - Tuf-Cal, chanvre, fer à béton, Oilbar, mine de plomb, bois - et leur visible assemblage digne d'un Picasso,  participent de la désespérance de son affaissement.

     Sur un socle en bois massif et rassurant comme ceux de Brancusi, L'oeuf, UntitledEgg, 2015 (4) n'en demeure pas moins mystérieux et précaire, nid percé d'un trou accueillant ou possible bouche avaleuse...Encore une oeuvre qui marque l'attraction de l'artiste pour la béance.

    20190412_160936.jpg20190412_162533.jpgLa sculpture mais aussi l'architecture se côtoient tout au long de l'exposition dialogant entre elles et avec le lieu. L'arche majestueuse Entitled Moongate, 2015, (5) répond à l'architecture des années 30 alentour, et les dessins hallucinés au charbon sur toile blanche, Somatic Paintings, 2018 (6) qui rappellent notre inéluctable disparition, font écho aux bas reliefs de marbre de la façade, signés Alfred Janniot.

    20190412_155825.jpg20190412_161128.jpgAprès des corps sans visage, des crânes, Fractured Face, 2015,(6) sont là, aux murs, grands médaillons en plâtre, entre dessin et sculpture, portraits schématiques aux structures osseuses soulignées qui fragilisent l'unité. Ils voisinent avec le primitivisme des toiles  Blue Faces, 2015 (7) à la mine de plomb, crayons de couleur et charbon. Un dernier regard  s'impose sur la série des 8 20190412_162723.jpgpeintures noires- sur les 12 réalisées - Black Paintings, 2015 (8). La lumière caressante fait apparaitre une succession de crânes dans l'épaisseur de la pâte., comme autant de stations d'un chemin de croix.

    La richesse de cette exposition est telle que l'on se contenterait de tout cela. Ce serait une erreur de passer outre le film réalisé par la compagne de l'artiste, Muna El Fituri, où l'on voit Thomas Houseago à l'oeuvre dans son atelier,  Cast-Studio, déployant une énergie jubilatoire à malaxer la glaise d'une installation à venir. Belle performance.

     

    Thomas Houseago, "Almost human", MAMVdeP, 12-14 av. de New-York, 75016 Paris.  01 53 67 40 00. Jusqu'au 14 juillet.

  • Stéphane COUTURIER (par Régine)

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    Parmi la multitude de photographies qui envahissent actuellement les cimaises parisiennes celles qui retiennent mon attention ne sont pas celles qui reproduisent le réel, même si le résultat est beau, mais celles qui font l'objet d'un véritable travail plastique, celles où l'artiste utilise la prise de vue comme matériau et se sert du médium photo pour exprimer sa propre vision du monde.

    Stéphane Couturier est de ceux-là et ses dernières oeuvres, actuellement exposées à la Galerie RX sont fort belles et fort intéressantes.

    J'ignorais qu'une des séries présentées intitulée "Les nouveaux constructeurs" avait été réalisée en écho avec l'oeuvre de Fernand Léger, mais le rapprochement entre les deux artistes se fait au premier coup d'oeil : le rythme qui se dégage de l'espace des oeuvres, la vitalité sous-jacente, l'utilisation des couleurs primaires témoignent des affinités entre les deux artistes. Tous deux en effet partagent une même fascination pour l'architecture urbaine et industrielle, mais si le premier exprime sa foi dans l'avenir, le second, moins optimiste, constate la disparition et la transformation de l'espace urbain.

    Pour cette série Stéphane Couturier a travaillé à Sète. L'organisation de la suite "Les nouveaux constructeurs, Sète - Port Sadi Carnot, 2018", notamment les numéros 1 et 3 (photos 1 et 2)IMG_7049.JPGIMG_7051.JPG rappelle celle des "constructeurs" de Fernand Léger. Une multitude de diagonales très sombres de textures et d'orientation différentes, dont une poutre maîtresse en bois qui traverse de part en part le deux compositions, s'entrecroisent sur plusieurs plans. Dans le n° 1 une verticale à droite et l'ébauche d'un grand caractère d'imprimerie à gauche stabilisent l'ensemble, mais un faisceau de rayons colorés en haut à gauche anime la composition. Dans le n° 2 plusieurs courbes procurent la sensation d'engrenages. Dans le premier le bleu et le rouge avec ici ou là quelques touches de vert et de jaune vivifient l'ensemble. Dans le second le rouge et le jaune s'imposent et les oeuvres tournoient dans un clignotement de couleurs colorées. Derrière cette imbrication de lignes apparaît au loin, dans une sereine tranquillité, la mer et le port de Sète. Difficile de parler ici de perspective au sens traditionnel du terme. En effet, comme dans un tableau cubiste, l'artiste puise dans le réel, le fragmente, le reconstitue autrement et grâce au rythme, aux contrastes entre les différentes lignes, formes, plans colorés, le dépasse pour en offrir une nouvelle perception.

    Pour donner à la fois cette impression de construction en train de se faire et de dissolution du sujet l'artiste utilise la superposition de plusieurs photos numériques et le glissement d'une photo sur une autre. Dans "Les nouveaux constructeurs, Sète - Port Sadi Carnot n° 8, 2018 (photo 3)IMG_7053.JPG, il a découpé une courbe dans le medium photo à droite afin de donner au spectateur le sentiment d'une masse en mouvement ; cette dynamique est renforcée par les lignes légèrement obliques des poutrelles d'acier rouges et noires.  Il est possible d'imaginer un paquebot s'avançant derrière un chantier de grues et de poutrelles qui s'entrecroisent et dont certaines émergent du brouillard. Pour provoquer cet effet de dissolution dans la brume l'artiste utilise des calques ou a recours au numérique qui rend possible un jeu de transparence et d'opacité entre deux images superposées.

    Les oeuvres de Stéphane Couturier s'animent sous le regard du spectateur, l'oeil ne se fixe jamais sur un point, il erre, circule et, contrairement aux peintures de Fernand Léger où des travailleurs juchés sur des poutrelles construisent dans l'enthousiasme, l'être humain en est toujours absent.IMG_7069.JPG Il apparaît éventuellement sous la forme d'un robot qui, placé au centre de "Les nouveaux constructeurs, Sète - port de commerce n° 3, 2018" (photo 4) pourrait être pris pour le grand organisateur d'un chantier fantomatique.

    D'autres oeuvres comme "Les nouveaux constructeurs, Sète - Port de commerce n° 3, 2018" (photo 5) IMG_7068.JPGapparaissent comme un entrelacs d'écrans dans lesquels le réel n'apparaît que fragmenté. Cette façon d'occulter une partie de la réalité photographiée par un jeu de calques permet à l'artiste de faire ressortir l'ossature du lieu et de rendre compte des mutations en cours.

    Même si certains détails demeurent précis la structure de "Melting point, Sète #7, 2017" (photo 6)IMG_7061.JPG est si fragmentée, si frontale, qu'elle devient irréelle et quasiment abstraite. Dans des tonalités beaucoup plus sobres et une ambiance plus statique, assez proche des travaux de Bernd et Hilla Becher "Melting point n° 5, 2017", (photo 7)IMG_7059.JPG la forêt d'obliques qui s'entrecroisent avec de verticales traversée par deux grandes horizontales, envahissent la composition obstruant la ville qui semble prisonnière derrière une forêt de barreaux.

    "Ce qui m'intéresse avant tout dit Stéphane Couturier", c'est d'arriver à synthétiser document et art. Je trouve important d'avoir une image conceptuellement forte qui soit au carrefour de la photo, des arts plastiques, de l'architecture, de l'urbanisme, de la sociologie et que le spectateur puisse s'approprier la photo telle qu'il en a envie".

    Par cette exposition Stéphane Couturier nous offre une déambulation dans la ville de Sète et un beau témoignage de la fluidité des choses et de leurs incessantes transformations.

    Stéphane Couturier "Les nouveaux constructeurs", Galerie RX, 16 rue des Quatre fils, 75003-Paris (06 37 88 04 98) jusqu'au 25 avril 2019.