SOTO (par Sylvie)
J'ai gardé en mémoire le souvenir du "Pénétrable" de Soto exposé sur le terre-plein du Musée de l'Art Moderne de la Ville de Paris en 1969. Il y a peu d'oeuvres qui, comme celle-ci, vous laisse une impression aussi forte pour que son image et son environnement reviennent à l'esprit au seul nom de l'artiste. Jesus Rafael Soto est de ceux là.
Après l'exposition que lui a consacré le Centre Pompidou (voir la note de Régine d'avril 2013), la galerie Perrotin à Paris présente jusqu'au 28 février un aperçu des oeuvres de 1957 à 2003 de cet artiste vénézuélien (1923-2005) venu en France dès 1950 et révélé au public parisien par la galeriste Denise René qui se fera la grande défenseure de cet art nouveau, le cinétisme, un art du mouvement produit par l'oeuvre et par le spectateur.
La perfection géométrique, l'évidente simplicité, la légèreté et la lisibilité aléatoire de ces oeuvres nous portent à passer et repasser devant elles comme si l'on avait omis de les voir en entier. Toujours quelque chose nous échappe et nous retient, nous questionne et nous enchante.
Détaillons quelques exemples de ce travail très élaboré au charme mystérieux.
Le cube de Paris, 1990 (photo1) flotte entre socle et dais comme une sculpture compressée..ou en expansion. Les tiges d'aluminium, toutes de même longueur, blanches ou rouges et blanches, qui la composent en une implantation rigoureuse, dessinent un halo vaporeux dans le blanc et un cube parfaitement linéaire dans le rouge, volume virtuel léger, impalpable et pourtant circonscrit, émergeant par le simple effet de la couleur. Que l'on soit de près ou que l'on tourne autour, la substance de cette gigantesque colonne est insaisissable et donne le vertige. Où est le réel, qu'est-il? C'est le piège d'une absolue impermanence.
Mondrian n'est pas loin dans la composition de ce petit tableau de 1961 (photo2) si simple : un rectangle rouge parfait et, devant un autre rectangle rayé blanc et noir, le profil irrégulier d'un brin de laine de même couleur. Par jeu optique, les fines rayures verticales s'agitent et la matière irrégulière de la laine grignote le fond: en se déplaçant le regard éprouve là une sensation de bougé, qui contredit l'aplat rouge statique. Au delà de la perfection du travail de graphiste plein de rigueur impliquant, malgré lui, le regardeur, l'oeuvre chatouille l'esprit et dégage, me semble t-il, un humour espiègle.
La Modulation jaune, 1966 (photo 3), peinture sur bois, métal, nylon, met en lumière deux vibrations distinctes. Celle de la couleur, à droite où les tiges de métal, légèrement courbes, projettent sur le surface unie leurs ombres comme autant de lignes variables qui semblent lui appartenir; celle des tiges, à gauche, frémissantes dans l'air, qui coupent les stries du fond. Cette superposition créé, au moindre mouvement de l'oeil, un effet moiré, vibrant. Lignes et couleurs sont libérées de leur fixité.
Ecriture bleu central, 1999(photo 4). Peinture sur bois, métal, nylon. Devant chacun des six carrés aux filins verticaux noirs s'inscrit en rupture un fil de métal arachnéen. Fort de cette matérialité, l'oeil, à chaque pas, voit de part et d'autre le fil noir se découper et créer une succession de petits tirets, comme un code secret, aléatoires; en revanche au centre, le fil de fer bleu, d'une valeur proche du blanc et brouillé par chevauchement, papillotte et s'évanouit. Les effets de la couleur comptent autant que ceux des lignes.
Sans titre (Aléatoire 2), 1996 (photo 5). Peinture sur bois, métal. Une multitude de petits carrés rayés horizontalement se détachent sur un fond rayé verticalement.Leur ombre est plus ou moins soutenue selon l'orientation de la lumière. Les carrés colorés dispersés dans la partie inférieure font respirer la surface comme si un souffle la parcourrait, gonflant les clairs, enfonçant les sombres, selon la diversité des intensités et le travelling du spectateur. Oui, le monde est une illusion. " Je n'ai jamais cherché - disait Soto - à montrer la réalité figée en un instant déterminé, mais tout au contraire à révéler le changement universel dont la temporalité et l'infinitude sont des valeurs constitutives".
Comme celui de 1969 ce Pénétrable BBL bleu, 1999 (photo 6), est magique. Ce n'est pourtant qu'une pluie de fils flottants en plastique bleu. Après en avoir considéré l'ampleur, se frayer un chemin dans son volume suspendu dans l'espace en écartant les brins, s'impose. Déstabilisés dans cette forêt de verticales vibrantes, nous voilà devenus partie constituante du réel, un espace-temps-matière.
Faute de comprendre parfaitement le making of de ces champs de force, le plaisir est là, stimulant et jubilatoire.
Jesus Rafael Soto "Chronochrome", galerie Perrotin, 76 rue de Turenne 75003, Paris. Jusqu'au 28 février 2015. Exposition parallèle à New-York jusqu'au 21 février.