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  • Mathieu PERNOT (par Régine)

    Par sa beauté, son sujet, la démarche de l'artiste et l'usage qu'il fait de la photographie, l'exposition "Ligne de mire" de Mathieu Pernot à la Galerie Eric Dupont est une belle surprise.

    Les teintes sombres et sourdes, la matité et le velouté des surfaces pourraient faire croire qu'il s'agit de peinture. Mais non, ce sont bien des photographies dont l'étrangeté force le regard tant elles mêlent réel et imaginaire et nous confrontent à un double sentiment d'enfermement et d'évasion.

    Que représentent-elles ? Sur le mur du fond d'un lieu sombre, clos et vide, aux parois de béton brut, apparaissent, mais à l'envers, des paysages de ciel ou de mer, de côte rocheuses et de plages de sable blond.

    Mathieu Pernod a réalisé cette série dans les bunkers que les allemands, craignant un débarquement, avaient installés sur les côtes de la Bretagne Nord. Reprenant le principe de la camera oscura, ancêtre de l'appareil photo, il transforme ces lieux ténébreux et mortifères en chambre noire. Dans l'épaisse muraille extérieure il fore un trou (une vidéo le montre à l'oeuvre) laissant ainsi pénétrer à l'intérieur du blockaus un rayon lumineux qui projette sur le mur du fond de la salle de gué l'image inversée du paysage environnant.

    Sur l'une des photos (photo 1)GEDC0019.JPG on croit voir apparaître un ciel étoilé au fond de cet espace claustral, mais l'image ayant été inversée c'est celle de la mer toute proche sur laquelle vogue quelques voiliers que renvoie le rayon lumineux. Sur une autre photo (photo 2)017.JPG la plage de sable, celle du Palus toute proche, remplace le plafond du bunker tandis que le bleu de la mer envahit l'étroit poste de gué épousant ses formes inhospitalières. Sur une autre encore (photo 3) 013.JPGdes rochers ocres transforment l'étroite pièce en grotte tandis que le reflet de la mer teinte les murs d'un bleu délicat et que le sol garde son aspect noir et brut.

    En superposant des espaces si différents que celui de l'intérieur d'une casemate et d'un paysage de bord de mer, la légèreté d'un reflet avec la lourdeur des matériaux de construction, en faisant se télescoper plusieurs époques, celle de la Renaissance avec l'utilisation de la Camera oscura et celle de l'art d'aujourd'hui avec la photographie, celle de la guerre avec celle de la paix, celle de la nature avec celle de la barbarie, l'artiste libère notre imaginaire et nous embarque ailleurs. C'est à une double lecture documentaire et poétique qu'il nous invite. Chacun peut imaginer en fonction de son expérience ce qu'il ne voit pas.

    Une sculpture intitulée "Le mur" côtoie ces photos (photo 4)015.JPG. Pour la réaliser l'artiste à simplement réuni quelques fragment de mur d'une ancienne baraque du camp d'internement de Rivesaltes dans les Pyrénées. Ce camp servit de centre de transit pour les réfugiés espagnols, de centre de rassemblement des israélites avant leur déportation en Allemagne, de camp d'internement pour les prisonniers de guerre allemands et pour les collaborateurs, de camp de regroupement des harkis et de leur famille. C'est un lieu où le destin d'enfants, de femmes et d'hommes se sont croisés au gré des évènements tragiques entre 1938 et 1970 et dont il ne reste rien. Un projet de Mémorial, conçu par l'architecte Rudy Ricciotti, va y ouvrir ses portes en 2015.

    L'enfermement, l'exploration de la mémoire, la solitude, les traces des oubliés de l'histoire sont les thèmes de prédilection de Mathieu Pernot. Ainsi, au printemps, avec l'historien Ph. Artières et à l'aide de différents médium (albums souvenir, films, cartes postales, photos d'idendité) il a reconstitué à la Maison Rouge l'histoire d'un hôpital psychiatrique du Cotentin aujourd'hui désaffecté.

    Une grande exposition "La traversée" lui a aussi récemment été consacrée au Jeu de Paume. Elle montrait l'envers du décors de notre histoire contemporaine. Le monde des marges, celui des Roms, des déplacés, des migrants sans domicile, des lieux de détention et d'enfermement.

    Son travail est une pensée à l'oeuvre rendue visible dont la qualité et l'inventivité contribuent à nous émouvoir profondément. Mathieu Pernot serait-il le photographe de l'inphotographiable ?

    "Ligne de mire" de Mathieu Pernot - Galerie Eric Dupont - 138, rue du Temple, 75003-Paris (01 44 54 04 14) du mardi au samedi de 11 h à 19. Jusqu'au 23 décembre.

     

  • REBECCA HORN (par Régine)

    L'exposition de Rebecca Horn à la Galerie Lelong se termine le 22 novembre. Courrez-y, elle est magnifique. A son sujet le premier mot qui vient à l'esprit est "élégance". Celle des oeuvres bien sûr, mais aussi celle du rapport au spectateur. Rebecca Horn n'assène aucune vérité, elle nous laisse libre de nos propres associations ne faisant que les susciter.

    L'oeuvre qui se trouve à l'entrée de l'exposition et qui s'intitule "Beethween the knives the emptiness" (entre les couteaux le vide) (photo 1)GEDC0008.JPG en est l'illustration. Dans un fin cadre d'acier monté sur un socle les lames effilées de trois couteaux japonais fixés sur de longues tiges de fer viennent lentement et alternativement effleurer les poils roux et soyeux d'un pinceau brosse chinois en laque noir suspendu en haut du cadre. Le regard se focalise sur l'espace ainsi défini où quelque chose d'extrêmement fragile, précieux et dangereux semble se jouer. Notre relation au monde ? A l'autre sexe ? A l'inconnu?

    Avec "Cricket freedom" (photo 2)GEDC0007.JPG, l'artiste pose un criquet mécanique aux antennes tremblotantes à l'extérieur d'une cage de verre. A l'intérieur se trouve une branche d'arbre dont certaines ramifications, prolongées par un étui de cuivre, percent les parois de verre, un entonnoir rempli de souffre jaune et un oeuf. Liberté est donné au spectateur d'imaginer un enchainement de causes et d'effets entre ces différents objets. L'artiste figure-t-elle la lenteur des phénomènes naturels et la façon dont le moindre détail peut modifier le cycle de la vie ?

    Dans "Volcanic transformation" (photo 3)GEDC0010.JPG un beau papillon orange et noir, mécanique lui aussi, bat des ailes au dessus d'un bloc de lave noir dans lequel il se trouve fixé par une tige. Comment représenter avec plus d'acuité l'opposition entre la fragilité et la rugosité, les coloris éclatants de la vie et la sombre tonalités de la terre, l'effleurement d'un battement d'aile et la violence inouïe d'une éruption, l'éphémère et l'immuable ?

    Avec ses mécanismes subtils, d'une précision d'horloger, ses mises en scène dépouillées et souvent proches de la réalité, Rebecca Horn ouvre un réseau de corrélations, intensifie notre conscience et poétise le réel.

    Cette quête d'un espace hors du temps, à la fois actif et immatériel s'exprime aussi dans sa peinture. Quelques oeuvres sur papier ici exposée en donnent l'exemple.

    Dans deux petites gouaches intitulées "Schreib Feuer"  et II de 2014 (photo 4)GEDC0011.JPG, sur un fond maculé de bleu une envolée de signes noirs tentent d'échapper à l'espace de la feuille. Comme dans certaines peintures de Michaux ou de Twombly, leur rythme dynamique nous entraînent dans un ailleurs, dans un espace quasi cosmique.

    Il en est de même dans des oeuvres plus grandes. Dans celle intitulée "Die Gaukler der Neum Sünden stufen" (182 x 150) (photo 5)GEDC0002.JPG, tout tourbillonne, tout bruisse et s'envole vers d'autres sphères. Entourée d'une nuée de minuscules taches ou traits bleu ou jaune d'or une verticale formée de signes volants s'élève dans l'air jusqu'à un cercle tournoyant. Des horizontales inscrites en pointillées accentuent avec légèreté le rythme de l'ensemble. Des images naissent : ivresse de l'insecte dansant dans la lumière de l'été ? vibration cosmique ? etc...

    Le cercle tournoyant devient le motif essentiel de cet autre grand papier "Nightwatch Nacht in der wurzeln des Mondes" de 2012 (photo 6)GEDC0005.JPG. Un tourbillon d'un bleu délicat se forme, traversé par une verticale plus sombre, sorte de tige végétale qui part du bas extrême de la feuille pour s'épanouir au centre dans une succession de cercles. Le tout entraîne une multitude de particules bleu et or formant le fond de l'oeuvre. Rien n'est définitif, tout change à chaque instant, tout est lié, tout s'envole traversé de forces énergétiques. Ces peintures aériennes sont comme des feux d'artifice libérés de toute limite. Elles sont légères et s'envolent vers d'autres sphères.

    Que ce soit avec ses sculptures, ses performances, sa peinture, Rebecca Horn ouvre de façon totalement immatérielle le chant énergétique de l'espace. Elle libère de leur matérialité les objets cependant très réels qu'elle utilise pour la réalisation de ses sculptures, et de l'espace temps dans lequel ils sont ancrés ; elle établit des flux entre eux, laisse toute liberté au spectateur d'associer suivant ses propres références culturelles. Elle ouvre un univers impalpable dont on pressent l'existence et donne accès à un vide vivant et animé.

    Avec sa façon bien à elle de transfigurer le réel, de nous rendre partie prenante de ses oeuvres, Rebecca Horn nous fait percevoir et éprouver autrement. N'est-ce pas cela la poésie ?

    Rebecca Horn "Bethween the Knives the Emptiness", jusqu'au 22 novembre, Galerie Lelong, 13 rue de Téhéran, 75008-Paris. Tél : 01 45 63 13 19