Pierre BURAGLIO (par Régine)
On reconnait entre mille une œuvre de Pierre Buraglio. L'exposition consacrée à cet artiste à la Galerie Ceysson et Bénétière, qui présente jusqu'au 16 mars quelques-uns de ses travaux récentes, en est l'illustration. Si la peinture y est très présente on retrouve avec bonheur la façon si personnelle avec laquelle l'artiste construit lui-même son propre espace pictural en juxtaposant des petites peintures sur tôle ou morceaux de portes creuses, en utilisant des objets ayant déjà servis (cadres de sérigraphies, montant de fenêtres, matériaux divers), en ménageant des espaces vacants, en citant le travail d'autres artistes. L'espace de son travail est donc le résultat d'un va et vient entre la réalité et sa création artistique et un pont se crée ainsi entre lui et celui du spectateur.
Le titre de l'exposition Mon Ithaque laisse entendre la dimension biographique des œuvres exposées. Buraglio peint son histoire et l'Histoire. Son histoire bien sûr, celle de la banlieue, de Maisons-Alfort notamment, où il a vécu avec ses parents et où il vit encore, l'Histoire, notamment celle de la guerre qu'il connut enfant, et bien sûr l'histoire de l'art. Nul épanchement bien sûr mais allusion à lui-même à peinte visible.
Prenons deux exemples. Plusieurs petites peintures ont pour titre le nom de rues ou d'avenues de Maisons Alfort ou de personnages qui y ont vécu. Celle appelée Rue Yannis Ritsos (2021) fait allusion à un poète grec, résistant pendant la guerre, mort en 1990. De très petite dimension (12 x 22 cm), elle est composée de deux parties clouées de façon apparente sur un morceau de bois cerclé de métal. Sur la partie du bas qui occupe les deux tiers de l'œuvre est peint un mur de briques rouges jointées de noir. Sur la partie du haut, est peinte la cime d'arbres sombres et touffus, laissant entrevoir un morceau de ciel bleu. Le mur enferme, mais au de là l'évasion et la liberté sont possibles.
Celle appelée Mur mitoyen. A Mireille Miailhe (2022), artiste peintre, également résistante pendant la guerre, offre le même principe avec quelques variantes, mais l'atmosphère qui s'en dégage est différente. Peintes directement sur un morceau de porte creuse partiellement tronquée à droite, les briques du mur sont moins foncées et de couleur plus variées, jointés de gris elles recouvrent entièrement l'œuvre sauf une bande grise à sa base. Une échappée de verdure, d'un vert frais occupe le bout du décrochement à droite et une partie de la base.
Plusieurs autres œuvres sont dédiées à l'artificier Roger François, également résistant pendant la guerre. Des plaques commémoratives le concernant son appliquées près d'un square à Maisons Alfort. C'est ainsi que Buraglio installe des tensions entre sa peinture, le monde extérieur et l'Histoire. Celles-ci déploient un espace poétique très particulier dans lequel est pris le spectateur.
Les limites et les dimensions des œuvres de Buraglio ne sont jamais données d'avance. Elles varient en fonction de son projet et des matériaux utilisés. Un bon exemple de sa façon de procéder est donné par Napalm (avec Braque) (2023) où neuf peintures sur tissus, de taille différentes, sont assemblées par agrafage. S'y côtoient la guerre et la paix. La guerre c'est la bâche de camouflage maculée qui recouvre la majorité des peintures qui composent l'ensemble. La paix c'est le dessin d'après Les oiseaux de Braque exécuté sur un tissus beige légèrement maculé. Cette même idée se retrouve dans le titre : Napalm allusion à la guerre du Vietnam ; (avec Braque), allusion à la colombe, symbole de paix.
Avec Fenêtre-Croix (2019), l'artiste revient à un de ses objets de prédilection : la fenêtre. Objet du quotidien c'est aussi, depuis Alberti, la métaphore de la peinture. Pour cette œuvre de 2019, d'une grande simplicité formelle, l'artiste a gardé tel quel le croisillon d'une fenêtre, en a légèrement taillé les quatre extrémités et garni la croisée d'un nuage de verre transparent et bleuté. Cette œuvre toute simple, très émouvante, fait naître chez le spectateur une multitude d'évocations et un grand sentiment d'espace et de spiritualité.
Plusieurs allusions à ses travaux des années 1980 sont ici présentés, telles ce fenêtre tronquées de 2022 et 2023. Objets matériels qui ouvrent sur un ailleurs et fait fonctionner l'imaginaire.
Le format réduit de la plupart des œuvres présentées, les références nombreuses aux résistants oubliés de la guerre de 1940, au lieu où il habite, aux peintres qui l'ont intéressé, autant de caractéristiques qui relèvent de l'intime, particularisent cette exposition de Pierre Buraglio. Ce n'est pas un discours, ce sont des réflexions personnelles comme si l'artiste se parlait à lui-même et entamait une conversation avec le spectateur.
Pierre Buraglio "Mon Ithaque", Galerie Ceysson et Bénétière, 23, rue Beaubourg, 75004-Paris. Jusqu'au 16 Mars.