Gribouillages ( par Sylvie)
Le gribouillage s'affiche au Palais des Beaux-arts à ¨Paris et nous plonge au coeur de cette très ancienne pratique déjà utilisée par les artistes de la Renaissance et dont on croyait tout savoir. Alors qu'en est il ? L'exposition révèle comment ces gestes graphiques plus ou moins barbouillés mais toujours, à l'origine, complémentaires à l'oeuvre elle-même, a évolué dans le temps. Du croquis de détail au revers d'un tableau ou dans un coin du support, ils sont devenus plus transgressifs, régressifs ou libératoires selon les artistes, leur temps et leur conception de l'art.
Introduction légitime, voilà deux exemples italiens des XVIéme- XVIIéme siècles : un dessin préparatoire à la sanguine de Domenico Cresti (1) pour une grande fresque religieuse. Au dessus du personnage agenouillé du premier plan , est représenté un fragment plus détaillé d'un dos comme si l'artiste avait besoin de comprendre la construction profonde du corps pour en montrer la surface. Sur une feuille d'étude d'Annibal Carrache (2) ( 1560-1609 ) figure l'ébauche, d'un trait enlevé et joyeux, d'un ange en vol tenant un calice, et d'un masque antique minutieusement dessiné. Deux captations différentes du réel : le mouvement bouillonnant pour l'un, la perfection du travail pour l'autre.
L'exposition a un autre mérite, celui de montrer ce qu'ont fait les artistes contemporains de cette nécessité ; deux d'entre eux sont particulièrement piquants: ils ont "croqué" in situ, comme les architectes font des "crobards" , des profils rencontrés: arabes moustachus du désert à Timimoun (1049) par Dubuffet, théoricien de l'Art Brut - celui des enfants et des malades mentaux- (3), gardien du Louvre endormi sur sa chaise (1984) par Alechinsky (4) dont la rapidité de trait touche à l'instantané photographique.
Le dessin mescalien, à l'encre de Chine sur papier, (1959) d' Henri Michaux (6), véritable grouillement de lignes denses et hypnotisantes reflète bien sa "pensée non dirigée". Oeuvre hallucinogène à partir de son expérience des toxiques, elle inscrit sur le papier le trouble linéaire de son subconscient. Le Rimbaud de Stephane Mandelbaum (5 )1980 a la violence du malaise intérieur de l'artiste. Le portrait du poète a beau être tout à fait académique, il est encerclé par une prolifération de gribouillages violents et obscènes dont la masse semble vouloir envahir l'espace. Le médium stylo à bille, un peu visqueux, contribue à la sensation de prolifération.
Brassaï a photographié Matisse à côté de son portrait exécuté de mémoire ,les yeux fermés. (1939). Caricatural et par là même d'une grande liberté (7) il montre le pouvoir de l'artiste à capter l'essentiel comme, parfois le saisissent les enfants, hors de contraintes académiques . Le rendu très personnel nous fait goûter l'essence même du personnage.
Parmi les très nombreuses autres oeuvres d'artistes contemporains exposées je n'en citerai que deux:
la "Maille" de Pierrette Bloch (8) 1980 où c'est le geste répété du tressage qui prend la forme d'un gribouillage, et "Delian, ode 19" (1961) de l'expressionniste abstrait américain Cy Twombly (9) dans laquelle l' énergie de la volée de griffures de couleur en apesanteur participent de l'émotion .
Les occasions sont plus ou moins propices au griboullage, mai 68 en a été une, les murs de la capitale en témoignent, preuve à l'appui dans cette exposition (10).
Gribouillages, Scarabocchio, de Vinci à Twombly., Palais des Beaux Arts, 13 quai Malaquais, 75006 Parsi, jusqu'au 30 avril , puis à la Villa Médicis à Rome jusqu'au 22 mai.