Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Judith Reigl (par Régine)

Double cliquer sur les images pour les agrandir.

Il est des expositions dont on sort avec le sentiment heureux de se sentir amplifiée, comme si l'horizon devant soi s'était agrandi. Cette émotion est suffisamment rare pour mériter d'être soulignée lorsqu'elle se produit. Or l'exposition de Judith Reigl, rue du Pont de Lodi à la Galerie Kamel Menour est de celle-là.

En entrant dans le vaste espace de la galerie et en parcourant du regard les tableaux qui y sont accrochés une sensation de liberté, d'espace infini vous saisit. C'est en regardant les oeuvres, que l'accrochage fort bien fait met en valeur, qu'on comprend pourquoi ce sentiment est si puissant.météorite.jpg Dans l'un, Ecriture en masse (1961), une forme noire dans laquelle flamboie un magma couleur de feu semble traverser en apesanteur l'espace de la toile blanche. Telle une météorite en fusion elle nous entraîne dans le cosmos à l'unisson des planètes et de la formation de l'univers (photo 1). flammes noires.jpgDans un autre grand tableaux de la même série (1964) des formes noires très vigoureuses tourbillonnent au centre de la toile, et dans un mouvement ascendant semblent vouloir s'en échapper (photo 2). Ces peintures entretiennent avec l'espace une relation bien spécifique.

Mais revenons à l'artiste dont le parcours exceptionnel sous-tend l'oeuvre. Née en 1923 à Kapuvar en Hongrie, Judith Reigl suit les cours de l'académie des Beaux Arts de Budapest de 1941 à 1946, puis passe deux ans à Rome. Rentrée en Hongrie en 1948 elle n'a qu'une idée : passer à l'ouest et quitter le régime communiste et totalitaire de son pays. Après plusieurs tentatives elle réussit, au péril de sa vie, à passer le rideau de fer et après un voyage le plus souvent effectué à pied elle arrive à Paris en 1950. Elle est reçue par son compatriote Simon Hantaï et fait la connaissance d'André Breton et du groupe surréaliste. La notion d'automatisme psychique la marque alors profondément et libère sa pratique. L'élément moteur de cette oeuvre pourrait donc bien être la vie même de l'artiste et sa soif infinie de liberté.

Au cours de sa carrière Judith Reigl explore de nouveaux thèmes, de nouveaux modes de création et travaille par séries. Ainsi dans les années 1966, de son écriture automatique et abstraite, surgissent des formes anthropomorphes. Ce sont plus d'une centaine de figures masculines qui font alors leur apparition. Deux exemples de cette première série sont ici présents (photo 3) : cages thoracique (1).jpgHomme circa (1964-66) et Homme (1966). A la limite de l'abstraction il est bien difficile d'y reconnaître des bustes d'homme. Sans visage et sans pieds seules leurs cages thoraciques sont figurées par des formes noires extrêmement vigoureuses qui envahissent la totalité de la toile et la débordent de tous les côtés. Ces peinture d'une austère grandeur, marquées d'une gestualité intense, ne représentent-elles pas aussi le corps de la peinture. "Elles sont l'arrachement physique de l'artiste vers sa réalisation créatrice" dit Marcelin Pleynet.

Plus tard avec les séries Déroulement liée à Mozart et Art de la fugue liée à Bach, Judith Reigl propose une promenade dans la couleur et la musique. En effet les tableaux de ces séries sont réalisés par l'artiste en déambulant au son de la musique le long de grandes toiles et en les effleurant à chaque pas avec un bâtonnet entouré de laine de verre imprégnée de peinture glycérophtalique. Sont ainsi enregistrés le déplacement et les sensations que l'artiste ressent en écoutant cette musique qu'elle aime par dessus tout. Devant les quelques peintures de cette série ici exposées on éprouve un sentiment d'apesanteur et d'espace qui déborde bien au-delà de la toile.déroulement vert jade.jpg Ainsi Déroulement (1977) : sur cette magnifique toile d'un vert jade impalpable, impossible hélas à reproduire en photo,  se déroule un tracé ondulatoire de signes de couleur indéfinissable qui dansent au rythme de la musique et de la marche (photo 4). Il y a dans ce procédé une logique poétique qui nous entraîne au coeur de l'acte créateur.

homme bleu.jpgA la fin des années 1980 les figures masculines réapparaissent avec les séries Face et Corps au pluriel où des silhouettes masculines se dressent debout ou flottent dans l'espace. De très beaux exemples en sont ici donnés. fantôme vert.jpgDans Face à...(1988) un personnage ou un fantôme d'un vert presque phosphorescent flotte en position verticale sur le fond noir de la toile dont il tente de s'échapper par un mouvement ascendant (photo 5). Dans Corps au pluriel (1991) une silhouette entièrement bleu aux contours flous, se dirigeant vers le spectateur, surgit du fond de la toile blanche qu'il irradie de sa présence (photo 6).

Dans toutes ces séries le motif des oeuvres excède la toile et le regardeur est invité à leur imaginer un au-delà. Cette façon de faire n'a-t-elle pas un rapport avec un jour de mars 1950 qui a déterminé le destin de l'artiste ? "Rien dans l'oeuvre de Judith Reigl ne permet d'oublier la très singulière expérience que fut pour elle le choix de la liberté" dit Marcelin Pleynet.

Judith Reigl "Je suis la règle" - Galerie Kamel Menour, 5 rue du Pont de Lodi, 75006-Paris, jusqu'au 26 Mars. Ouvert du mardi au samedi de 11 à 19 heures.

 

Les commentaires sont fermés.