Pour la quatrième fois en 8 ans, mon mari et moi, arpentons les allées des Giardini et les immenses bâtiments de l'Arsenal, curieux de découvrir cette 57ème biennale de Venise.
Les précédentes (voir mes articles sur les biennales 2011, 2013, 2015) nous avaient offerts de très belles découvertes dont certaines furent de véritables chocs. Nous avions eu aussi le plaisir de voir des oeuvres magnifiques réalisés par des artistes reconnus internationalement. Celle-ci, organisée par une française, Christine Mandel, dont le titre peu explicite "Viva arte viva" sonne comme une chanson, est plus sage et fait la part belle aux idéaux environnementaux, altermondistes, communautaires ou féministes. Elle célèbre le partage, l'égalité, la fraternité. Pas de grandes vedettes et, dans leur majorité, les artistes, dont beaucoup sont des femmes, nous sont inconnus.
Pour les visiteurs de l'automne, il est frustrant de constater que de nombreux évènements collatéraux sont déjà terminés, notamment l'exposition "Philipp Guston and the poets" à l'Académie, la rétrospective Mark Tobey au Palais Gugenheim. Aux Giardini et le pavillon allemand, qui a eu le grand prix de la Biennale, est hélas déjà fermé. Heureusement que la belle installation de Pistoletto à Sain Giogio qui nous enchante avec ses miroirs, reste en place jusqu'à la fin de la Biennale (photo 1 et 1 bis).
Aux Giardini comme à l'Arsenal les titres donnés aux différentes sections sont bien arbitraires et n'aident pas à se repérer dans le foisonnement des oeuvres présentées. Il faut donc se promener et s'arrêter devant les travaux qui retiennent l'attention. Voici donc ma récolte, aux Giardini d'abord.
Les tableaux en relief de John Latham (1921-2006) (photo 2) incluant des livres brûlés, maculés, découpés, torturés ont une puissance qui évoque la destruction des civilisations et les bûchers de livre organisés par les régimes totalitaires, notamment nazi.
On reste fasciné devant la minutie et le souci du détail des dessins de Ciprian Muresan (né en 1977 en Roumanie) (photo 3). En superposant à l'infini, jusqu'à la limite de la visibilité, les oeuvres d'artistes majeurs (tels que Tiepolo, Corregio ou Morandi) il nous met dans la position d'un chercheur tentant de retrouver dans ce fouillis inextricable des bribes de tableaux connus et en voie de disparition. Peut-être veut-il aussi nous confronter à la surconsommation d'images caractéristique de notre époque.
Parmi le foisonnement des vidéos, bien rare sont celles qui nous retiennent. Par son humour et son extravagance, celle de Taus Makkacheva (née en 1983 à Moscou) nous captive et nous tient en haleine jusqu'à sa fin (photo 4). Sur un fil tendu entre deux pitons rocheux, un équilibriste transporte d'un bord à l'autre une soixantaine d'oeuvres du musée du Dagestan. Fil tendu entre l'est et l'ouest, nature et culture, passé et présent. L'art est fragile et il est nécessaire de prendre des risques pour le préserver même dans les pires conditions.
Sous la rigueur géométrique et l'abstraction minimaliste des tableaux de Mc Arthur Binion (né en 1946) se dissimule sa biographie (photo 5). En effet, la peinture quadrille par des traits une multitude de petites photocopies de son certificat de naissance, de notes sur sa maison natale et de traces de son enfance dans le Mississipi. L'émotion naît d'abord de la beauté formelle de ses tableaux (photo 4), mais surtout de la géographie intime de son auteur qui n'apparait que lorsque observe les oeuvres de près.
Quant au peintre syrien Marwan (1934-2016), (photo 6)qui fut l'un des protagonistes du "tournant figuratif" de la peinture allemande dans les années 1960, c'est son visage déformé, fragmenté, douloureux et bouleversant qu'il peint et repeint inlassablement (photo 5) exprimant ainsi sa difficulté d'être un exilé.
Passionné par ce qui relie entre eux les différents organes humains Lubos Plny (né en 1961 au Canada) nous fascine avec ses dessins organiques faits à l'encre de chine et retravaillés à l'acrylique qui sont à la fois terriblement précis et totalement fantaisistes (photo 6).
La fragilité du papier népalais qu'utilise Kiki Smith (née en 1954) pour ses dessins renforce la délicatesse des femmes hiératiques, absentes à elles-mêmes, qu'elle dessine. Ce travail raffiné, qui ne laisse pas indifférent, appartient à un univers difficile à saisir (photo 7).
Je pourrai encore citer quelques oeuvres non dénuées d'intérêt mais elles restent noyées dans un ensemble qui n'échappe pas aux redites, à l'éloquence ou à une invention plastique limitée.
Cependant avant de quitter les lieux il ne faut pas omettre d'arpenter le pavillon de Roumanie où une rétrospective de Geta Brâtescu (née en 1926) confirme l'importance de cette grande artiste dont la liberté et l'imagination mettent en joie, ni celui des Etats-Unis envahi par les sculptures et les peintures très impressionnantes de Mark Bradford (né en 1961).
A l'Arsenal le désir de dénoncer la destruction de la planète, la colonisation, de mettre l'accent sur le féminisme et surtout de créer des liens sont très présents. Les textiles, matériaux éminemment féminins, tels que le fil, la ficelle, la laine, tissés, noués, piqués à la machine, sont utilisés dans de nombreux travaux. A commencer par l'installation de Lee Mingwei (né en 1964 à Taiwan). Installé derrière une longue table, relié à une multitude de bobines de fil de toutes les couleurs accrochées au mur, il propose de réparer vos vêtements élimés en les brodant. Une fois le travail fait, le vêtement rejoint la pile de ceux déjà réparés et auquel le fil est resté accroché (photo 8).
C'est avec du fil et une machine à coudre que Maria Lai (1919-2013), cette sicilienne qui n'a jamais quitté son île, a créé son propre langage, totalement illisible mais plein de poésie. Avec du fil souvent noir ou rouge elle a piqué sur des morceaux de tissus des arabesques plus ou moins serrées mais obéissant à un rythme intérieur. Elles les a assemblés en grande tenture, en dessus d'autel ou en livres indéchiffrables mais plastiquement magnifiques (photo 9).
Il émane des cocons réalisés par Judith Scott (1943-2005) en enroulant de la laine de couleur autour d'un objet une puissance presque animale. (photo 10) Tels des fétiches ils semblent détenir un lourd secret. Sourde, muette et trisomique Judith Scott est considérée aujourd'hui comme une grande figure de l'art brut (photo 10). (Voir l'article que Sylvie lui a consacré sur ce blog le 13.12.2011)
Tandis que l'immense et magnifique tente faite de lianes qu'Ernesto Neto (né en 1964 à Rio de Janeiro) (photo 11) a dressée à mi parcours de la corderie de l'Arsenal invite au recueillement et partage, la stupéfiante montagne de boules de laine au couleurs intenses et à l'aspect moelleux de Sheila Hicks (née en 1934 aux USA) incite à s'y blottir (photo 12). Son titre "Bâoli", ce qui en indien signifie lieu de rencontres sociales, est signifiant.
L'ironie n'est-elle pas le moyen le plus efficace pour traiter les problèmes de la destruction de la planète ? Ainsi Michel Blazy nous enchante avec son étalage de chaussures éculées remplies de terre dans lesquelles il fait pousser des plantes (photo 13) ou avec son magazine sur Venise qu'il laisse se détériorer lentement sous l'effet d'un goutte à goutte provenant du plafond de l'Arsenal. Shimabuku (né en 1969 au Japon) nous amuse en transformant un ordinateur en hache de guerre (photo 14) après en avoir affûter l'un des bords et en juxtaposant des silex taillés et des téléphones portables. Enfin Nicolas Garcia Uriburu (1937-2016) avec ses belles photos nous rappelle que dès 1968 il attirait notre attention sur la fragilité de la sérénissime en colorant le grand canal en vert fluo (photo 15).
La beauté peut aussi être une arme efficace, telle l'installation de Julian Charrière (née en 1987 en Suisse) qui évoque une belle ruine archéologique. Elle se compose de tours de différentes hauteurs, faites de blocs de sel, (photo 16) matière dont on extrait le lithium qui sert à fabriquer nos batteries de téléphone portable. Efficace aussi la violence et l'horreur des images du film que Marie Voignier (née en 1974) consacre aux carnages parfaitement légaux perpétrés par les riches chasseurs blancs en Afrique centrale et sa série de photos en noir et blanc d'animaux abattus donne la nausée.
A ne pas manquer non plus le fascinant dispositif mis en place par Kader Attia (né en 1970). Sur plusieurs écrans apparaissent les visages de célèbres chanteuses orientales dont la voix fait vibrer des hauts parleurs sur lesquels il a placé de la semoule qui vibre et dessine des figures au grès du rythme des mélodies.
Que signaler encore parmi une telle profusion d'oeuvres trop souvent réduites à des accumulations d'images ou accompagnées de commentaires décourageants ? Sans doute la superbe tenture d'Abdoulaye Konate (photo 17), les subtiles toiles de Riccardo Guarneri qui, au milieu de tant de vidéos et d'installations, rappellent que la peinture existe encore (photo 18), ou l'étonnante tour de Yee Sook Yung faite de fragments de vases coréens récupérés dans les fabriques de poteries des alentours de Séoul, façon de leur donner une nouvelle vie (photo 19).
La lassitude finit par gagner devant une telle accumulation mais s'il vous reste un peu d'énergie allez voir le pavillon de la Nouvelle Zélande où Lisa Reihana déroule son film panoramique faussement édénique sur les sauvages de l'Océan Pacifique et l'arrivée de James Cook (photo 20) et celui du Chili où Bernardo Oyarzim, à l'aide d'une forêt de masques, dénonce la destruction de la civilisation Mapuche (photo 21).