Antony GORMLEY ( par Sylvie )
La sculpture contemporaine anglaise est réputée pour sa vitalité. Depuis Henry Moore le pays n'a cessé de produire de grands artistes qui ont ouvert cette sphère à la modernité. L'exposition à la galerie Thaddeus Ropac de Pantin, en région parisienne, en fournit aujourd'hui un exemple. Dans cette ancienne chaudronnerie aux majestueux volumes, les oeuvres d'Antony Gormley ont trouvé un lieu à leur mesure. D'un coup d'oeil un peu rapide, elles pourraient toutes, dans leur noirceur, n'être perçues que massives, géométriques, raides. Bien qu'elles soient de grandes dimensions, en des matériaux usinés et lourds dont les composants s'empilent de façon, semble t'il, sommaire, elles opèrent sur notre mental comme un rappel de la forme humaine et de son inscription dans l'environnement. Semi-abstraites, elles ont le pouvoir de figurer, objectiver et d'activer une perception de l'intérieur; conceptuelles, leur sens est à trouver dans ce qu'elles révèlent.
Dès l'entrée, bien en face, est campée en solitaire Hole, de quatre mètres de haut. Cubes, parallélépipèdes, toutes formes soudées, pleines ou évidées, imbriquées, la composent comme un univers compact perçu et vécu à la fois. Que sont ces cellules, des chambres, des fenêtres, des couloirs, des yeux, un nez ? Elles se confondent, interrogent, et donnent à cette "cabane" isolée dans l'espace qui l'entoure l'illusion d'un être vivant très protecteur par sa masse et très ouvert par ses orifices, un condensé habitacle/habitant.
Expansion Field est une installation de soixante sculptures volumineuses en acier Corten gris sombre et poli, réparties en quatre rangées. Elles composent dans la seconde salle un environnement total et minimaliste, sorte de grande armée d'attitudes du corps, silhouettes austères comme des coffre-forts et répétitives qui rappellent les alignements des mégalithes de Carnac ou les grandes silhouettes de l'ile de Pâques. Certaines pourraient faire penser à des architectures fascisantes. Dans leur côtoiement serré - qui occupe toute la pièce - ces troncs verticaux trapus étouffent de promiscuité, comme certaines allées de cimetières. Individuellement fermés sur eux-mêmes et circonscrits dans le cadre de la pièce, ils semblent dans l'incapacité d'avancer, barricadés dans l'étroitesse de leur espace et la défense de leur personne. Point d'esprit d'équipe dans ce rassemblement. Gormley serait-il fasciné par les foules aux individus si semblables et si différents ?
Une forêt totémique a investi la nef principale. Elle nous parle également du corps. Ces 15 Blockworks, composées de parallélépipèdes de fonte, comme des assemblages cubistes, évoquent dans leur géométrie des attitudes familières qui sont autant de sentiments et de comportements, réflexion, chagrin, joie, fierté... Plus grandes que la taille humaine, espacées, toujours aussi géométriques, elles dégagent néanmoins, portées par leur socle qui les surélèvent et le délié de l'empilement, une impression de légèreté et de liberté. Le revêtement noir et charbonneux, à l'acide tannique, y contribue. Selon la position des blocs on comprend que là est la face, ici la cambrure... Peu d'amorces de mouvement de bras mais les jambes esquissent une avancée, les pieds s'élancent du sol sous la poussée des supports. Ce ne peut être qu'un dignitaire cette silhouette majestueuse et élégante, toute seule, un peu à l'écart.
Matrix II se déploie dans le hall suivant en un tricotage de matériau très ordinaire. Des tiges à béton métalliques s'entrecroisent et forment des volumes, architecture virtuelle que l'oeil traverse. Elle rappelle le "Pénétrable" de Soto, fait de filins de plastique - bien qu'ici toute pénétration corporelle soit impossible - et questionne les formes et les structures de l'habitat humain.
Dernier plaisir, et pas des moindres, la série de petits travaux préparatoires sur papier, accrochés au mur. Dans ces emboitements de formes tout est dit, les volumes, les articulations, tout ce dont le corps et l'habitat sont faits. Gormley, au noir de sa peinture, ajoute du lait pour l'adoucir et lui donner cet aspect gris-brun lavé, subtil, un enchantement.
Antony Gormley "Second Body", galerie Thaddeus Ropac, 69 av du Génaral Leclerc, 93500 Pantin. Du mardi au samedi de 10h à 19h, jusqu'au 18 juillet 2015.