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  • Pierrette BLOCH (par Régine)

    Pourquoi certaines oeuvres comme celles de Pierrette Bloch actuellement exposées à la Galerie Karsten Greve qui, pour certains ne sont que gribouillages, sont pour d'autres profondément émouvantes ? Est-ce parce qu'elles sont ressenties plutôt que comprises, parce qu'on y sent la nécessité pour l'artiste d'exprimer de façon très forte quelque chose d'essentiel pour lui ?

    Que fait Pierrette Bloch ? Sur des feuilles de papier soigneusement choisies, blanches, noires ou calques, d'un geste répétitif, elle trace au pinceau, à la mine de plomb, au fusain, au pastel gras ou sec des bâtonnets, des tâches, des points, des boucles enchaînées les unes aux autres. Ce processus répétitif implique un même geste qui se réitère sur une série d'oeuvres très proches les unes des autres.

    Regardons la longue série accrochée au premier étage de la galerie dont voici deux exemples (photo 1 et 2)IMG_0066.JPGIMG_0073.JPG. Ils sont faits d'un continuum de bâtonnets blanc sur fond noir dont le tracé présente des nuances de blanc dues à l'épuisement de la peinture dans le pinceau et au geste plus ou moins appuyé. Nous saisissons les formes mais aussi les espaces entre elles - à la fois tous semblables et différents - et, comme dans la musique de Philippe Glass, un rythme obsédant se dégage de l'ensemble.

    Dans une autre oeuvre (photo 3)IMG_0064.JPG des lignes bouclées telles les mailles d'un tricot courent sans interruption d'un bout à l'autre d'une feuille de papier calque. La partie supérieure est légèrement occultée par un morceau du même matériau adoucissant la noirceur du tracé des lignes sous-jacentes. Ainsi deux moments coexistent.

    Dans une autre enfin (photo 4) IMG_0063.JPGdes griffonnages énergiques fait au fusain se superposent, ceux du dessous s'effaçant dans un halo charbonneux.

    En déclinant ainsi à l'infini et de façon obsédante le trait, le point, la boucle, plus ou moins espacés, Pierrette Bloch nous signifie que le temps est sa préoccupation essentielle. Elle nous le donne à éprouver dans son être, sa densité, son opacité et donne forme à ce qui n'en a pas. Il ne s'agit ni du temps de l'horloge où les instants se succèdent et s'effacent les uns les autres, ni de celui de souvenir mais d'un temps sans limite, de son flux, rompu seulement par le passage d'une technique à une autre "Chacune ouvre une nouvelle voie, une nouvelle manière de faire et donc de vivre le temps" dit-elle.

    Ces dessins all over nous suggèrent aussi la présence d'un espace infini et les séries celle d'un temps en expansion. Temps et espace, cet écran invisible sur lequel se déroule l'existence, cet axe sous-jacent à toute oeuvre d'art, sont ici intimement liés.

    Au sujet de ce travail, nombreux sont les critiques qui parlent d'écriture. Les dessins faits de bâtonnets blancs crayeux tracés sur fond noir dont nous avons parlé au début ressemblent à ceux que tracerait par exemple un enfant sur un tableau noir ou une ardoise. Pierrette Bloch cherche-t-elle comme Henri Michaux à exprimer le moment intérieur de l'élaboration d'une écriture ? A ces question elle répond par la négative : "Une écriture, dit-elle, cherche à nommer et ce n'est pas ce que je cherche à faire" et elle ajoute "c'est agaçant on finit toujours par me parler des rapports de ce que fais avec l'écriture. Alors,  d'un coup direct, je le dis, il n'y en a pas".

    De quelle nature sont donc ces graphies si élémentaires et pourquoi nous touchent-elles tant ? Parce qu'elle nous parle de notre origine, du temps de l'enfance, mais aussi de celui du surgissement de l'art. Il s'agirait du balbutiement de l'oeuvre et non de celui du langage. Ceci s'applique aux oeuvres présentées ici mais aussi à celles faites avec du crin, matière qu'elle travaille de façon extrêmement subtile et qui font référence au temps du tissage.

    Le travail de Pierrette Bloch est d'une grande austérité et en cela il est proche de celui des artistes de l'art minimal qui lui sont contemporains. Comme eux elle pose la question des limites de l'art.

    PIERRETTE BLOCH Oeuvres récentes - Galerie Karsten Greve, 5 rue Debelleyme, 75003-Paris. Tél 01 42 77 19 37. Jusqu'au 21 février 2015.