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  • REBECCA HORN (par Régine)

    L'exposition de Rebecca Horn à la Galerie Lelong se termine le 22 novembre. Courrez-y, elle est magnifique. A son sujet le premier mot qui vient à l'esprit est "élégance". Celle des oeuvres bien sûr, mais aussi celle du rapport au spectateur. Rebecca Horn n'assène aucune vérité, elle nous laisse libre de nos propres associations ne faisant que les susciter.

    L'oeuvre qui se trouve à l'entrée de l'exposition et qui s'intitule "Beethween the knives the emptiness" (entre les couteaux le vide) (photo 1)GEDC0008.JPG en est l'illustration. Dans un fin cadre d'acier monté sur un socle les lames effilées de trois couteaux japonais fixés sur de longues tiges de fer viennent lentement et alternativement effleurer les poils roux et soyeux d'un pinceau brosse chinois en laque noir suspendu en haut du cadre. Le regard se focalise sur l'espace ainsi défini où quelque chose d'extrêmement fragile, précieux et dangereux semble se jouer. Notre relation au monde ? A l'autre sexe ? A l'inconnu?

    Avec "Cricket freedom" (photo 2)GEDC0007.JPG, l'artiste pose un criquet mécanique aux antennes tremblotantes à l'extérieur d'une cage de verre. A l'intérieur se trouve une branche d'arbre dont certaines ramifications, prolongées par un étui de cuivre, percent les parois de verre, un entonnoir rempli de souffre jaune et un oeuf. Liberté est donné au spectateur d'imaginer un enchainement de causes et d'effets entre ces différents objets. L'artiste figure-t-elle la lenteur des phénomènes naturels et la façon dont le moindre détail peut modifier le cycle de la vie ?

    Dans "Volcanic transformation" (photo 3)GEDC0010.JPG un beau papillon orange et noir, mécanique lui aussi, bat des ailes au dessus d'un bloc de lave noir dans lequel il se trouve fixé par une tige. Comment représenter avec plus d'acuité l'opposition entre la fragilité et la rugosité, les coloris éclatants de la vie et la sombre tonalités de la terre, l'effleurement d'un battement d'aile et la violence inouïe d'une éruption, l'éphémère et l'immuable ?

    Avec ses mécanismes subtils, d'une précision d'horloger, ses mises en scène dépouillées et souvent proches de la réalité, Rebecca Horn ouvre un réseau de corrélations, intensifie notre conscience et poétise le réel.

    Cette quête d'un espace hors du temps, à la fois actif et immatériel s'exprime aussi dans sa peinture. Quelques oeuvres sur papier ici exposée en donnent l'exemple.

    Dans deux petites gouaches intitulées "Schreib Feuer"  et II de 2014 (photo 4)GEDC0011.JPG, sur un fond maculé de bleu une envolée de signes noirs tentent d'échapper à l'espace de la feuille. Comme dans certaines peintures de Michaux ou de Twombly, leur rythme dynamique nous entraînent dans un ailleurs, dans un espace quasi cosmique.

    Il en est de même dans des oeuvres plus grandes. Dans celle intitulée "Die Gaukler der Neum Sünden stufen" (182 x 150) (photo 5)GEDC0002.JPG, tout tourbillonne, tout bruisse et s'envole vers d'autres sphères. Entourée d'une nuée de minuscules taches ou traits bleu ou jaune d'or une verticale formée de signes volants s'élève dans l'air jusqu'à un cercle tournoyant. Des horizontales inscrites en pointillées accentuent avec légèreté le rythme de l'ensemble. Des images naissent : ivresse de l'insecte dansant dans la lumière de l'été ? vibration cosmique ? etc...

    Le cercle tournoyant devient le motif essentiel de cet autre grand papier "Nightwatch Nacht in der wurzeln des Mondes" de 2012 (photo 6)GEDC0005.JPG. Un tourbillon d'un bleu délicat se forme, traversé par une verticale plus sombre, sorte de tige végétale qui part du bas extrême de la feuille pour s'épanouir au centre dans une succession de cercles. Le tout entraîne une multitude de particules bleu et or formant le fond de l'oeuvre. Rien n'est définitif, tout change à chaque instant, tout est lié, tout s'envole traversé de forces énergétiques. Ces peintures aériennes sont comme des feux d'artifice libérés de toute limite. Elles sont légères et s'envolent vers d'autres sphères.

    Que ce soit avec ses sculptures, ses performances, sa peinture, Rebecca Horn ouvre de façon totalement immatérielle le chant énergétique de l'espace. Elle libère de leur matérialité les objets cependant très réels qu'elle utilise pour la réalisation de ses sculptures, et de l'espace temps dans lequel ils sont ancrés ; elle établit des flux entre eux, laisse toute liberté au spectateur d'associer suivant ses propres références culturelles. Elle ouvre un univers impalpable dont on pressent l'existence et donne accès à un vide vivant et animé.

    Avec sa façon bien à elle de transfigurer le réel, de nous rendre partie prenante de ses oeuvres, Rebecca Horn nous fait percevoir et éprouver autrement. N'est-ce pas cela la poésie ?

    Rebecca Horn "Bethween the Knives the Emptiness", jusqu'au 22 novembre, Galerie Lelong, 13 rue de Téhéran, 75008-Paris. Tél : 01 45 63 13 19