Nils UDO et Alain BUBLEX par Sylvie.
Ils interviennent tous deux sur le paysage, l'un naturel, l'autre urbain et nous les donne à voir subtilement transformés. Chacun à leur manière.
Deux expositions parisiennes, au même moment, permettent de découvrir la proximité insoupçonnée de leur démarche.
Les deux orientations de l'oeuvre de Nils Udo, artiste allemand né en 1937, sont bien présentes à la galerie Challier. Au premier étage se trouve la part la plus renommée de son parcours, celle du "land-artist": de superbes photos en couleur, de grand format. Elles ont été prises en Limousin, le long de la Creuse. Et chacune se divise en deux parties: deux tiers d'eau, un tiers de végétation. A leur jonction se dresse, devant la rive opposée, le graphisme épuré d'une gigantesque feuille d'érable en bois clair de chataigner. Plantée comme un écran fragile, elle laisse voir la riche nature de la rive derrière elle: feuillages verts ou automnaux, rochers abrupts... et devant, la rivière dans laquelle elle plonge. Comment donc tient cette feuille? Sa double queue intrigue. Mais oui, bien sûr, la sculpture blanche est une demi-feuille, Nils Udo l'a fabriquée, montée sur un fin radeau de pin et laissée libre, au gré du vent et du courant. Elle a fait ainsi le tour de la presqu'ile de Crozant. Il l'a suivie et photographiée à différentes saisons... Magie du travail de l'artiste qui, à la fois donne du rêve et pointe la beauté des lieux soumis aux contrastes de lumière et de matières. La nature en tant qu'oeuvre d'art est devenue par artifice (l'installation), une autre oeuvre d'art et la photographie qui immortalise ce "radeau d'automne, 2012, oeuvre d'art elle-même (photo1).
Le rez de chaussée de la galerie présente le travail du peintre qui, depuis 2004, a repris son médium d'origine. Udo agit souvent de mémoire, tirant de son expérience visuelle et physique de la couleur une gamme intense où les grands aplats traduisent l'expressivité de la couleur plus que la couleur elle-même et les lignes sommaires, des profils plus que des formes. Il y a du Gauguin dans ce sous-bois "1185 Samerberg", 95x128cm, 2012 (photo 2) et de la bande dessinée dans l'autre (photo 3).
Rapprocher ce travail de celui d'Alain Bublex (né en 1961) exposé à la galerie Vallois s'est imposé. Pourtant ils n'ont aucun sujet commun. Autant Nils Udo est tourné vers le champêtre, autant Bublex se plait dans la modernité industrielle: autoroutes, usines, activités portuaires. On se souviendra de la série des "Plug-in-city" de Vitry sur seine évoquant avec humour une ville en mutation, entre réalité et imaginaire. Ici les oeuvres sont de techniques mixtes, une part retravaillée au dessin vectoriel, partageant l'image, comme chez Udo en deux plans successifs. " Paysage 139, fantôme de Charles Sheeler, american landscape", 2014, épreuve chromogène laminée diasec sur aluminium, 60x80x5cm, en est un exemple (photo 4). Sans doute est-ce ce qui donne à ces vues transformées, un peu fantomatiques, sans humains, frontales, une grande étrangeté malgré - ou à cause - des couleurs franches, un peu laiteuses comme chez Udo. En aplats profonds et statiques ou en cernes, le noir électrise le regard.
Lorsque Bublex reprend des oeuvres de peintres américains du XIXème ou des vues du port de Hambourg d'Albert Marquet (photo6), il suggère que chaque pays se forge une identité à travers la représentation de ses paysages. Rappelons que c'est à partir du tableau d'Albert Bierstadt représentant la Yosémite valley (photo 5) que les Etats Unis ont tiré fierté de leurs grands espaces. Bublex semble estimer que les larges bandes color-field des années 50 de Morris Louis , se sont fait encore l'écho de cette démesure. En revanche, le"Paysage 149" de 2014 (photo7) épreuve encres pigmentaires contrecollée, 160x213cm, avec son autoroute trop parfaitement dessinée pour être réelle est impossible à situer. Nommée A 51, elle a peut-être - le futur nous le dira - une appartenance à notre époque mais elle n'a plus d'appartenance locale.
En associant sur une même oeuvre deux techniques différentes, en usant d'une palette franche et laiteuse, d'aplats cernés, ces deux artistes démontrent que malgré un goût commun pour le paysage, ils aiment le trafiquer. Mais le regard que nous portons nous mêmes sur les choses n'est-il pas lui aussi une manipulation? La démarche de Bublex et de Udo renvoient à l'histoire de la peinture, au fauvisme, aux mangas et posent une double question: qu'est-ce que la réalité et qu'est-ce que l'art? Eternel sujet.
Nils Udo "Nouvelles peintures et "Radeau d'automne", galerie Pierre-Alain Challier, 8 rue Debelleyme 75003, Paris. Jusq'au 1er novembre 2014.
Alain Bublex "Arrière-plan", galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois, 36 rue de Seine 75006, Paris. Jusqu'au 8 novembre 2014.
Commentaires
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