René Laubiès (par Régine)
Les oeuvre de René Laubiès des années 1960/1970 exposées actuellement à la Galerie Margaron procurent un plaisir quasi physique dont il serait dommage de se priver : plaisir communicatif d'un accord profond avec le monde, avec son rythme, son souffle, son flux.
Si Laubiès part de la nature pour peindre - il peint toujours dehors, dans des régions ensoleillées, en Inde, en Iran, en Turquie ou ailleurs et souvent face à a mer - sa peinture est totalement abstraite. Ce n'est pas l'objet qui l'intéresse mais la présence de l'espace, de la lumière, des vibrations de l'atmosphère.
Né à Saïgon où il passa son enfance, toute sa vie il restera marqué par l'Asie et sa façon d'appréhender l'espace ; imprégné de taoïsme zen, il en expliqua lui-même le principe pour décrire son art : "Le Tao est un principe sans forme, ni commencement, ni fin. C'est le souffle vital qui anime l'univers. L'idéal taoïste est de se dépouiller de son Moi pour pouvoir se fondre dans ce flux. Un peintre doit être l'instrument conscient de cette force vitale.
Mort en 2006, Laubiès était un nomade ; il s'envolait pour des régions lointaines avec ses couleurs et quelques rouleaux de papier sous le bras, du papier généralement lisse qui permettait au pinceau de glisser plus facilement sur sa surface et de rendre mieux la transparence de l'air. A son retour ses dessins et peintures étaient pour la plupart marouflés sur toile.
De taille réduite, très proches les unes des autres, mais chacune ayant son caractère propre, ces oeuvres sont comme une variation sur un même thème qu'on ne se lasse pas de contempler. Sur un fond délicatement coloré, quelques traces de couleur écrasées puis raclées et étirées horizontalement avec une lame de rasoir captent notre regard, traces qui semblent flotter dans l'espace ou le traverser et lui donne son immensité, sa densité, sa présence. Rien de grandiose ni de spectaculaire dans cette peinture qui nous invite à la contemplation (photo 1). L'artiste nous fait partager ses éblouissements et ses émotions devant les paysages qu'il contemple longuement avant de peindre.
Certaines oeuvres entraînent vers d'autres cieux. L'horizontalité et les couleurs sable et terre de sienne de celle intitulée "Iran" (15 x 38) (photo 2) dit l'espace aride, brûlé par le soleil de ce pays de plateaux et de steppes. Dans celle intitulée "Mykonos" (photo 3), au centre d'un espace mouvant jaune ensoleillé les traces brunes qui le balayent se concentrent en une forme oblongue (une île ?). Mais rien n'est statique. Condensée à un moment cette forme pourrait aussi bien se dissoudre pour se reformer autrement et ailleurs.
Pour transcrire son propre saisissement devant ce qui pourrait être le spectacle d'un coucher de soleil ou d'une rizière - à Varkala peut-être, au sud de l'Inde où il avait coutume de passer l'hiver - Laubiès n'hésitait pas à utiliser des couleurs stridentes : rose fuschia, vert acide, jaune souffre mais avec une peinture très fluide, presque de l'aquarelle, pour être au plus près du flux de l'univers (photo 4)
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D'autres oeuvres ont particulièrement accroché mon regard :
Dans une petite toile de 1960 (39 x 53) des amas de peinture rouge se diluent dans un fond rose diaphane. Le rouge, comme du sang séché se fait blessure ; peinture douloureuse autant qu'enchanteresse et dont on a du mal à détacher son regard (photo 5).
Dans le couloir qui mène aux autres pièces de la galerie deux tondos se côtoient (photo 6 et 7). Semblables aux pierres de rêve chinoises dont les marbrures suggèrent un paysage que chacun organise comme il l'entend, ces deux oeuvres, l'une toute en nuances de verts, l'autre parcourue de nuées rouges ou orangées et dont la forme rappelle celle d'une mappemonde, nous ouvrent "L'infini de l'esprit".
Enfin, sous le rose légèrement violine de la petite toile de 1962 "Sans titre" qui se trouve dans la salle du fond à gauche affleure un poudroiement de jaune, de brun, de beige. "Méditation d'un moment perdu dans l'espace" comme dit si bien Bernard Noël (photo 8).
Quelques encres sur papier accompagnent ces peintures. Faites d'un geste longuement muri la forme traverse l'espace de la feuille tel un nuage qui s'en échappe (photo 9) ; ou à peinte esquissé une trace semble se dissoudre dans l'immensité du ciel comme celle laissée par le vol d'un oiseau, d'un insecte ou d'un avion. Présence et évanouissement de la forme sont ici liés. Dans la salle du fond à gauche, une encre immense qui semble figurer une aile d'oiseau nous entraîne loin du papier sur laquelle elle est peinte (photo 10)
(photo 11).
René Laubiès "L'infini de l'esprit", jusqu'au 7 juin - Galerie Margaron, 5 rue du Perche, 75003-Paris. 01 52 74 20 89. Du mardin au samedi de 11 h à 13 h et de 14 h 30 à 19 h 30.