Bertrand LAVIER (par Régine)
De Bertrand Lavier je ne connaissais que quelques pièces isolées vues lors de visites dans des musées d'art contemporain : le réfrigérateur monté sur un coffre fort "Brandt/Haffner de 1984" (photo 1), le piano recouvert d'une épaisse couche de peinture acrylique "Steinway and sons de 1987 (photo 2). Je ne m'étais pas attardée outre mesure sur la signification de ces oeuvres dont je pensais qu'elles se situaient plutôt du côté de la provocation, voire du canular.
L'exposition du Centre Popidou a été pour moi une révélation. Divisée en sections reprenant les grands thèmes qui traversent son travail, elle m'a permis de comprendre que ces oeuvres nous invitaient avant tout à remettre en cause nos certitudes, à voir le monde de façon décalée en nous révélant des évidences dont nous n'avions pas conscience.
Le plaisir éprouvé en parcourant cette exposition nait d'une stimulation de la pensée provoquée par des rapprochements inattendus, des transpositions temporelles, des médium imprévus, autant de court-circuits qui, avec humour, aiguillonnent l'esprit.
En voici quelques exemples parmi d'autres :
Dans la section Des choses et des mots, contrairement à ce que disaient les artistes conceptuels de sa génération, B. Lavier nous avertit qu'il, ne faut pas faire confiance au langage. Pour le démontrer il place un mobile de Calder noir et rouge sur un radiateur laqué blanc de marque Calder et intitule l'oeuvre : "Calder et Calder" (photo 3). Le résultat est beau, mais troublant : comment un mot peut-il désigner à la fois un banal appareil de chauffage et une merveilleuse oeuvre d'art ?
Sur les deux parties égales d'un diptyque de 1984 intitulé "Mandarine by Duco and Ripolin" (photo 4), il applique de la couleur "Mandarine" ; pour l'une l'artiste a utilisé la peinture du fabricant Ripolin, pour l'autre de Duco. Alors que le résultat devrait être le même puisque la référence de la couleur est identique, il est très différent : l'une des parties est orange, l'autre rouge. Ainsi est mise en doute la capacité du langage à traduire le réel et il est prouvé que la réalité est bien une affaire de subjectivité.
A l'école d'horticulture de Versailles où il fit ses études, B. Lavier découvre la technique de la greffe. L'idée qu'il est possible, à partir de deux éléments, d'en faire un troisième qui aura une identité propre, différente de ceux qui lui ont donné naissance l'a fascinée. Sachant cela, le sens des oeuvres citées précédemment et auxquelles je n'avais pas prêté attention s'éclaire. En greffant un frigidaire sur un coffre fort (photo 1) ou un pierre sur un frigidaire, Lavier fait jaillir l'idée de sculpture qui n'est autre qu'un objet posé sur un socle.
En recouvrant un piano "Steinway and sons" (photo 2), non de feutre comme Beuys, mais d'une épaisse couche de peinture afin de la rendre évidente et avec une touche évoquant celle de Van Gogh, il greffe la représentation picturale d'un objet sur l'objet lui-même, rapproche et destabilise deux mondes qui jusque là étaient séparés, celui de l'objet et celui de la peinture ; détourné, le piano n'est plus un piano puisqu'il ne peut plus jouer, il n'est pas une peinture puisqu'il est en trois dimensions, ni une sculpture puisqu'il est peint. Le résultat échappe aux catégories dans lesquelles on voudrait l'assigner.
Dans la section intitulée L'art de la transposition, avec les "Walt Disney productions" (photo 5), il agrandit au format réel des vignettes d'oeuvres contemporaines imaginées par l'auteur d'une bande dessinée de 1947 et intitulée "Mickey au musée d'art moderne". Le résultat est surprenant, les sculptures évoquent des formes proches de celles de Arp et les tableaux des oeuvres de grands peintres du pop Art. Ainsi le réel des oeuvres pulvérise-t-il la cloison qui sépare le réel de l'imaginaire.
L"idée du ready made de Duchamp est omniprésente, mais si l'artiste se l'accapare il la transforme avec ironie et sensibilité. A l'objet neutre, pur concept qu'était le porte bouteille ou l'urinoir, il oppose "La Giulietta" (photo 6), une Alfa Roméo gravement accidentée, exposée telle quelle ou "Teddy" (photo 7), un petit ours en peluche usagé soclé qui sont de véritables blocs d'émotion.
En imaginant ce que sera le musée ethnographique de notre civilisation occidentale dans quelques centaines d'années il nous projette dans le futur. Pour donner forme à son idée, il fait socler des objets dérisoires de notre consommation courante : un skate board "Chuick metruck" (photo 8), une serrure "J.M.B. Classique", (photo 9) un kayak "Nautiraid" (photo 10), etc... Dépouillés de leur utilité, magnifiés par le soclage, la beauté de ces objets, même celle d'un simple parpaing, rivalise avec les oeuvres montrées dans les musées ; ainsi nous interroge-t-il, avec drôlerie, sur le choix et la valeur des objets sacralisés par leur mode d'exposition.
Conçu comme une mise en scène, cette exposition raconte la vision pleine d'humour que Bertrand Lavier a du monde de l'art. Comme Maurizio Catelan, dont on serait tenté de le rapprocher, il a une manière très personnelle de se faire entendre. Tous deux nous font réfléchir aux codes sur lesquels se construit l'histoire de l'art et font leur miel des multiples illusions qui hantent notre modernité.
Bertrand Lavier, depuis 1969 - Centre Pompidou - du 26 septembre 2012 au 7 Janvier 2013. Galerie 2, niveau 6. Tous les jours sauf le mardi de 11 h à 21 hy.
Commentaires
Alors un très bon billet.
C'est la toute première fois que je découvre ce bon blog : je suis d'ors et déjà sous le charme !
Encore bravo !!
Alors un vraiment très bon billet!!
C'est pas la seule fois que je viens parcourir ce blog là, en tout cas aujourd'hui, je suis juste obligée de laisser un commentaire.
Vas-tu encore laisser ta plume filer à ce propos ??
Encore félicitations !
A très bientôt !