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  • BEATRICE CASADESUS (par Sylvie)

    Sous le titre d' "Ocellures", un mot au charme désuet qui signifie bigarrures, la galerie Gimpel et Müller présente des oeuvres récentes de Béatrice Casadesus. L'ocelle est le terme zoologique de tache. On ne s'étonnera pas de cet emploi sous la plume d'une artiste dont le travail repose sur le point, ce motif-espace par lequel apparait ou s'évanouit la lumière. Rappelons nous l'ile de la Jatte sous le pointillisme de Seurat.

    L'exposition donne un aperçu du travail récent de l'artiste, bien que les grandes tarlatanes flottantes n'y figurent pas, ni les intissés, ni les oeuvres architecturales. La figure ne l'a jamais intéressée. "Peindre ?", résumait-elle en 2000, " Rien de plus que traverser la lumière". Quelle gageure !

     

    4 - avec Giotto.jpgocellures-2010-2011-acrylique sur toile, 60x60- 001.JPGIMG_7023 (2) - Copie.jpgDés l'entrée de la galerie, le regard est absorbé par un grand diptyque d'une extrême gaité, qui rayonne de bleus percés d'or. "avec Giotto", (2009, acrylique sur toile de lin, 200x280 cm), photo 1, déploie un espace léger, infini - sans bord - tout en vibrations, un cliquetis visuel raffiné. Béatrice Casadesus y décline ce qui fait sa marque de fabrique, les empreintes, comme si elle avait volé aux rûchers leurs rayons de cire pour donner forme à la couleur. La netteté des pastilles hexagonales qui en sont issues n'est que ponctuelle, temporaire en quelque sorte, tellement leur effacement progressif vers le bas de la toile, leur dilution en trainées verticales sur le fond or ou blanc, s'inscrit dans le temps. Les coulées de bleu et de blanc brouillent le fond. Peu à peu les alvéoles repoussent leur plein de couleur, blanchissent et se dissolvent au profit de leur tracé linéaire dans un jeu d'apparition-disparition. Cette inversion module l'espace de la toile comme l'or, en paillettes, décuple sa dimension. Capture d'un instant chatoyant et évanescent qui inspire, comme dans les fresques de Giotto, une émouvante spiritualité.

    Autour, figurent d'autres oeuvres carrées de petit format (60x60cm) aux nuances singulières et douces.  Dans l'une, photo 2, "ocellures" 2010-2011, Les trames de rose et de jaune en haut de la toile passent au blanc puis se teintent d'un bleu lavé. De près, vraiment de très près, j'ai constaté qu'elles étaient de gabarits différents: les plus grandes, en taches claires se disputent la surface - laquelle est dessus laquelle est dessous? - avec de toutes petites, grises, opaques, aux contours nets cette fois.  De cette combinaison nait l' impression visuelle de mouvement immateriel de la lumière, une sorte de blanc d'éblouissement. 

    Deux autres "ocellures" côte à côte du même format, photo 3, combinent le jaune et l'or de leurs trouées accumulées en nébuleuses où se mêlent l'opaque et le transparent, pour offrir au regard la fulgurance d'une lumière filtrée.

    IMG_6992-2 (2).jpgIMG_7008 (2)(1) - Copie.jpgIMG_7024 (2) - Copie.jpg "Colonne lumière", photo 4, (2012, plexi peint 200x30 cm de diam.), "Petit cylindre ocellé", photo 5, (2012, h 46x diam 25 cm) et "Etai", photo 6, (2012, 141 x 21 cm). Avec le plexi, B.C. a trouvé un allié qui occupe l'espace avec légèreté. Elle en a fait une installation,photo 4, qui cristallise sa double préoccupation, la sculpture et la lumière fugitive. Sur ce support tubulaire translucide, lisse et léger, la peinture acrylique - on dirait des encres - conserve sa transparence, les coulées s'y superposent, avant, arrière, on ne sait plus, suspendues comme en apesanteur. Le faisceau lumineux qui les traverse projette sur le mur leur reflet, mais brouillé jusqu'à l'abstraction, comme le font les vitraux d' églises qui répandent leurs couleurs sur la pierre et dans l'espace, cette réalité insaisissable née du mouvement aléatoire de la lumière.

    005.jpg"En suspens",photo 7, (2011, bois et papier-bulle peint, 220x150 cm de diamètre), résume, selon Béatrice, son processus de travail. Le materiau, du papier-bulle, lui est tour à tour outil - il lui sert à appliquer la peinture par couches superposées ( elle a horreur du pinceau) et "pièce en soi", objet fini, concrètement et métaphoriquement suspendu( il est arrêté dans sa fonction). Léger et mobile, c'est une sorte de gigantesque lanterne magique ou de rideau de théatre, dont les lais, peints à la main, frissonnent et laissent passer à travers leur volumétrie irrégulière le halo lumineux.

     Avec les "ocellures" les couleurs cuivrées et vineuses des années passées, le sombre et l'or des temples d'Asie et leur impact sur la rétine semblent abandonnées. L' irradiance nouvelle, plus claire, plus apaisée peut-être ou plus aveuglante pour avoir trop fixé le soleil, implique que le regard s'y attarde durablement. C'est le propre du travail de Béatrice Casadesus, tout en subtilité.

    Béatrice Casadesus "Ocellures", galerie Gimpel et Müller, 12 rue Guénégaud, 75006 Paris.  01 43 25 33 80. Jusqu'au 5 juin.

  • El ANATSUI (par Sylvie)

    El Anatsui-triennale et beaubourg 005.JPGEl Anatsui-triennale et beaubourg 006.JPGL' oeuvre est pour moi époustouflante, un enchantement. "Sasa", 2004, (photos 1 et 2) domine l'entrée du MNAM à Beaubourg de ses 5 ou 6 m2. de  masse multicolore. Son auteur? El Anatsui, un artiste ghanéen né en 1944 et vivant au Nigeria. Assez peu connu du grand public français bien que de renommée internationale depuis la Biennale de Venise en 1990, il vient tout à coup de lui être révélé par l'habillage qu'il a réalisé du Musée Galliera, le musée de la Mode à Paris, et par une autre oeuvre, dans le cadre de la Triennale au Palais de Tokyo, en face.

    GEDC0029.JPGGEDC0036.JPG"Sasa" comme "Tiled flower garden", 2012, (photos 2 et 3) à la Triennale sont spectaculaires.. Pas seulement par leur taille, leur épaisseur, leur aspect non fini mais par leurs couleurs somptueuses, l'étrangeté et la profusion de leur médium semi- rigide comme une cote de maille, et leur texture souple. Elles tiennent du tissage, de la tapisserie, du manteau royal ou de quelque pelage animal. Et rappellent aussi bien les patchwoks américains que les oeuvres du peintre autrichien Klimt ou... les pixels des images numériques. Et tout cela avec un caractère très artisanal et très richement sophistiqué.

    Mais de quoi ces deux oeuvres sont-elles faites ? Il faut s'approcher pour s'en rendre compte. Il ne s'agit pas de peinture, pas d'étoffe. Il s'agit d'un assemblage d' innombrables capsules aplaties de bouteilles et de découpes de canettes en aluminium, de vieux restes en quelque sorte de la société de consommation et qui témoignent des échanges commerciaux entre l'Afrique et l'Occident et des effets de la colonisation (l'alcool contre les esclaves). Surprenant pour un sculpteur qui a beaucoup travaillé avec des matériaux naturels, moins pour un artiste desireux d'utiliser ce qu'il trouve dans son environnement, surtout s'il porte la trace d'usages passés. El Anatsui rappelle que le travail de mise à plat de ce métal est proche du placage de l'or sur les objets dans des mines du Ghana.

    "Salsa" est suspendue à la verticale. Sa pesanteur ne cache pas l'irrégularité des contours et le bas traine au sol. Disons qu'elle pendouille comme si l'artiste avait voulu laisser aux installateurs la liberté de jouer avec elle et avec l'espace.  Les multiples pastilles dont elle est faite forment une composition abstraite très construite en bandes, en lignes ou en plages de couleurs chatoyantes. Toutes sortes de nuances apparaissent selon la lumière, les inscriptions sur les capsules, l'assemblage plus ou moins lâche et ses fils de cuivre, les pliages et les noeuds.

    "Tiled flower garden" se présente comme un large tapis fluide, l'épiderme abandonné de quelque monstre marin ou un filet de pêche jeté au sol et couvrant un rocher.. Les plis multiples mettent en évidence la malléabilité du métal. Ce qui apparait d'abord comme une trouée centrale laissant voir le béton s'avère une trame plus légère où scintillent les capsules argentées comme des écailles de poissons. L'ensemble évoque le fleuve Niger, une large et majestueuse coulée poissonneuse pleine de poésie.

    El Anatsui-triennale et beaubourg 001.JPGLe musée Galliera (photo 5), ancien palais du XIXème d'inspiration Renaissance, est lui aussi paré dans la magnificence. Ses larges baies sont occultées au profit d'un habillage un peu provocateur de miroir qui accroche la lumière jusqu'à éblouir et de vieilles plaques alvéolées mates toutes roussies d'usage. Le recyclage de matériaux de récupération reste là encore l'idée forte de l'artiste: l'oeuvre, dans sa monumentalité  30mx10m) et son aspect de tombeau hermétique, réussit à mixer le gai et le triste,le terne et le clinquant, le présent et le passé, l'artisanal et l'industriel, l'Europe et l'Afrique et à faire entrer le vent de la vie moderne et urbaine sur une architecture séculaire.  Cette approche ethnologique et universaliste est le propre de l'exposition "Intense Proximité" au Palais de Tokyo.

     

    MNAM, Centre Pompidou, piazza Beaubourg, 75004 Paris. Tous les jours sauf le mardi;  

    Intense Proximité, Palais de Tokyo, 13 av du Président Wilson, 75016, Paris. De midi à minuit tous les jours, sauf le mardi. Jusqu'au 26 août.