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  • Jean DEGOTTEX (par Régine)

     

     

    Degottex 1.jpgA quoi tient la fascination exercée par une grande toile peinte à l'huile en 1959 par Jean Degottex et intitulée "Levez le doigt et tout l'univers est là" ? Est-ce parce qu'elle donne le sentiment d'assister à l'origine de la création, de plonger jusqu'aux racines même de la peinture ou parce qu'elle est encore toute imprégnée de la concentration extrême et de l'élan intérieur avec lesquels le peintre l'a réalisée ?

     

    Décidemment, la qualité d'une exposition n'a à voir ni avec la taille du lieu où elle se déroule, ni avec le nombre d'oeuvres exposées. J'en veux pour preuve cette toute petite galerie "L'or du temps" rue de l'Echaudée où sont exposées actuellement quatre peintures de Degottex, quatre toiles pas plus, mais quelles toiles ! En cette époque saturée d'images, où l'art reste souvent à la surface des choses, il est rafraîchissant de voir des oeuvres d'une telle intériorité. Ne les ratez pas !

     

    Cette parenthèse étant faite, revenons au tableau dont le titre fut emprunté au père fondateur de la philosophie Zen, un moine chinois du 8ème siècle, philosophie dont le peintre se sentait très proche. Son fond est gris, un gris uniforme, résulat d'un travail très lent, très appliqué. Pendant des jours et des jours il a passé des couches de couleurs successives et fait disparaître toute trace de pinceau pour aboutir à une non couleur, à l'équivalent du vide dont tout procède. Puis sur ce grand espace ouvert et vacant, d'une matité crayeuse, légèrement maculé de jaune (le tableau mesure 2,320 m x 1,90 m), après cette longue méditation, en un geste de décharge fulgurant, imprévisible, l'artiste a tracé presque au centre quelques signes noirs et brillants. Les giclures qui ont jailli du pinceau sont là pour témoigner de la vigueur du geste, elles en sont la figuration. Tel le tracé d'étoiles filantes, ces signes abolissent la neutralité du vide de la toile et le rendent actif ; ils me paraissent être l'expression de l'influx vital et sortir directement du coeur de l'artiste.

     

    Degotttex 2.jpgDans le tableau en face (Les alliances de juillet 1960), le signe qui se déploie vigoureusement et le fond légèrement modulé sont d'une absolue matité. Le noir (on dirait de l'encre) se dissout en de multiples nuances dans la neutralité du gris. Degottex a-t-il précipité son geste dans un gris encore humide qui aurait permis aux bords du signe de s'y diffuser ? Ici fond et forme ne sont plus qu'un comme si l'une était sécrétée par l'autre.

     

    Plus de cinquante ans après leur exécution, ces quelques toiles nous font toujours communiquer avec l'infini et les signes inscrits demeurent des élans de communion avec l'univers.

     

    Galerie "L'or du temps", 25 rue de l'Echaudée, 75006-Paris. 01 43 25 66 66. Du mardi au samedi de 15 à 19 h. jusqu'au 11 avril

  • Rien que des femmes ( par Sylvie)

    Elles exposent au même moment à Paris ces artistes photographes, l'une pour très peu de temps encore. Trois femmes, trois regards, trois styles bien différents. Deux d'entre elles se mettent en scène, l'autre  sur son quant-à-soi, jette, à distance, les yeux sur le monde. Passant de l'une à l'autre, ce qui ressort en tout premier de leur travail, où rien n'est laissé au hasard, c'est une remise en question des valeurs et une recherche du vrai, quelqu'en soit la brutalité.

    Marina Abramovic, (née en 1946 à Belgrade). En gros plans, souvent en noir et blanc, les photos de grand format présentées ici sont issues de performances s'appuyant sur des évènements de la vie personnelle de Marina Abramovic de 1977 à 2008. ambromavic04.jpgDe ses relations avec son compagnon Ulay elle tire une image du baiser : rien d'affectif là-dedans mais un mécanisme inspiration-expiration des deux protagonistes ; la colère prend la forme d'un double profil crié, "AAA-AAA, with Ulay", 1978 (photo1)et l'affrontement agressif celle d' un face à face à distance avec arme interposée. Toutes  situations dramatisées à l'extrême qui opérent comme des métaphores universelles .                                                                                                De même que les danseurs vont au bout de leur geste pour mieux l'imposer, Abramovic, dont la présence physique est débordante, explore et traduit les limites des sensations en s'impliquant physiquement. Avec liberté et autorité. Faites de même, semble-t-elle nous dire.                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                  En Cent8-Abramovic2-01P.jpgEn mémoire à ses origines, elle revisite les mythes et traditions yougoslaves liés à la sexualité avec une dimension personnelle et impudique. Dans "Balkan Erotic Epic: Breasts II,2005 (photo 2). elle offre au ciel son buste généreux, provocant, et son petit fichu noué sous le menton dans le pur style réalisme soviétique.  "Je suis interessée par l'art qui dérange et qui pousse la représentation du danger" dit-elle. Dans cette image, qu'est-ce qui , selon elle, est le plus dangereux, la sexualité ou le régime politique.

                                                                                                                                                                   Galerie Serge Le Borgne, 108 rue Vieille du Temple, 75003, Paris. Jusqu'au 30 avril 2009.

    Katharina Bosse, ( née en 1968). Le travail de cette artiste finlandaise se rattache, elle aussi, à l'art corporel. C'est cru, dérangeant comme peut l'être une intimité dévoilée.  Non sans audace, elle traite ici de la maternité aujourd'hui, un sujet peu abordé depuis les vierges à l'enfant de la peinture ancienne. Ce "Portrait of the artist as a young mother", c'est elle avec ses enfants, nue dans la nature, offerte de façon très ostentatoire, en très grand format (160x125 cm). GEDC0094.JPGElle nous fait voir l'innocence de son ventre rond de parturiente, comme Botticelli Vénus,sa bestialité de mère-louve allaitant à quatre pattes, sa sexualité assumée le sexe à l'air, poils pubiens bien visibles. Son manque de pudeur parait si authentique que ce qui était jusqu'alors tabou, d'une esthétique trash porteuse de malaise, prend une autre dimension. GEDC0092.JPGC'est d'ailleurs dans le vert que la plupart des  scènes se passent, révèlant le plein accord des trois éléments, maternité-sexualité-nature, une vie du corps vécue sans honte mais non sans défi. Chair épanouie et couleurs fraiches à la Walt Disney rappellent l'influence du new-burlesque, ce mouvement artistique issu des spectacles de cabaret et autres Betty Boop. Un peu d'humour ne nuit pas.                                                                                                                        Galerie Anne Barrault, 22 rue Saint Claude, 75003, Paris. Jusqu'au 7 mars 2009. 

    GEDC0087.JPGValérie Jouve, (née en 1964 à Saint Etienne). Le grand photo-montage, plus précisément un montage de photos en polyptyques, comme en font beaucoup de peintres,  rassemble des surfaces presque abstraites qui révèlent les mutations de la ville et le passage du temps: traces de truelle, lambeaux de papier, pierres brutes , pans de murs, architectures anciennes ou chantiers en cours. Il y a du Bonnard dans ces patchworks aux coloris tendres; il y a du Georges Rousse dans ces habitats désoeuvrés. Le premier plan est en quelque sorte le passé; dans l'ouverture on perçoit des travaux en cours; au dessus, un immeuble nouveau pourrait figurer l'avenir. L'introduction, en médaillon, d'un visage fatigué sur un arrière -plan  d'architecture moderne uniforme induit le vécu.  (photo 5). Comme à son habitude, Valérie Jouve traite de la rencontre entre l'humain et le paysage, entre le passé et le présent.                                                        A la fois acteurs et spectateurs, les individus anonymes, photographiés en noir et blanc, en motifs centraux plus ou moins tournés l'un vers l'autre, absorbés ou penchés sur le monde, dans une sorte d'indifférence ou d'ennui, isolés dans leur environnement, se montrent et nous montrent, par le jeu directionnel de leur regard, le contexte urbain qui les entoure.  On ne peut pas dire que cette réflexion sociologique sur l'identité du corps et du lieu soit nimbée d'optimisme mais Valérie Jouve montre bien qu'ils sont inséparables.                                                                                                                                                                                                       Galerie Xippas, 108 rue Vieille du Temple, 75003, Paris. Jusqu'au 21 mars 2009.