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  • Jean Lissarrague, Poésie et peinture (par Régine)

    P1000524.JPGPour une fois quittons la capitale et regardons vers la province. On oublie trop souvent qu'il s'y passe des évènements culturels remarquables grâce à des organisateurs passionnés et compétents. Un bon exemple en est donné actuellement au Centre Joë Bousquet de Carcassonne.

    Mais qui est Joë Bousquet ? Jeune écrivain, blessé gravement à la moelle épinière pendant la guerre de 1914, il vécut, reclus jusqu'à sa mort en 1950, dans l'hôtel familial qui abrite le Centre créé en sa mémoire. Passionné de peinture et de littérature il reçut dans cette maison et dans sa chambre, que l'on peut voir encore, les plus grands peintres (auxquels il acheta des oeuvres) et écrivains de son temps : Max Ernst, Magritte, Dubuffet, Breton, Eluard et bien d'autres.

    Respectant son esprit le centre consacre une partie importante de son activité aux rapports  poésie-peinture. S'y tient actuellement, et jusqu'à fin février, une exposition consacrée à un éditeur, Jean Lissarrague, et aux éditions qu'il a créée : Les Editions Ecarts.

    L'expositions s'intitule "Jean Lissarrague, les Editions Ecarts, Poésie et peinture, le livre en partage" et c'est bien de cela qu'il s'agit. Cet éditeur de livres de bibliophilie contemporaine (c'est-à-dire de livres tirés à très peu d'exemplaires et réunissant le texte d'un poète et son accompagnement par un artiste) ne force jamais les choses ; il ne sollicite ni un poète ni un artiste pour écrire ou illustrer un texte. Il reste ouvert aux propositions et suggestions et afin que la résonance entre le texte et l'image soit la plus juste possible il privilégie toujours les affinités électives. Ainsi pour la trentaine de livres publiés en 30 ans chaque partenaire souhaitait travailler ensemble. Pas d'idées préconçues non plus quant à la forme du livre ; sa construction doit être au plus près du texte et de l'image. Le livre pour Lissarrague est une totalité, une oeuvre, chaque fois unique.

     Ce sont les artistes avec lesquels il a travaillé qui structurent l'exposition. En accord avec le directeur du Centre, René Piniès, Jean Lissarrague a tenu pour chacun d'eux, non seulement à déployer les ouvrages dans des vitrines mais à exposer parallèlement quelques oeuvres sur les murs. Le lien entre les peintures et les livres devient ainsi évident et démontre, s'il en était besoin, que les livres ne sont pas pour ces artistes une production à part, mais font partie intégrante de leur démarche.

    IMG_5289.JPGL'exposition commence au premier étage et se termine au rez de chaussée. Dans la première salle, avec les trois livres  réalisés avec le peintre Jean Capdeville et les poètes Jacques Dupin et Yves Peyré, sont exposés quatre  tableaux très noirs, très graphiques, très gestuels. D'Alexandre Hollan, deux grands fusains d'arbres et quelques petits formats montrent la proximité avec le livre qu'Yves Bonnefoy a voulu faire avec lui. Enfin quelques oeuvres légères et raffinées de René Laubiès accompagnent les lithographies exécutées pour le texte de Bernard Noël "La Fable et le vent".

    IMG_5308.JPGDans la salle suivante le grand mur du fond est entièrement occupé par trois splendides quasi monochromes et deux diptyques de Frédéric Benrath, hommage rendu à l'artiste ami, décédé l'an dernier. La correspondance entre la profondeur, la subtilité de ces peintures et les gravures ou peintures qu'il a réalisées pour les différents ouvrages déployés dans les vitrines est évidente. Ainsi en est-il pour "Le voyage aux Iles des vestiges" que Michel Butor a écrit à partir de ses gravures, pour "Dans l'attente" de Louis Dire et d'autres encore.

    IMG_5318.JPGLui font face des  gravures de Zao Wou Ki dont les livres fait avec Claude Roy et François Cheng s'étalent dans la vitrine qui jouxte celle consacrée à Frédéric Benrath. Le déploiement de cinq essais d'une des gravures permet de suivre le cheminement de l'artiste jusqu'à son aboutissement.

    Sur la lancée du livre qu'elle venait de terminer avec Michel Deguy, dernière production des Editions Ecarts, à juste titre intitulé "Danaë dans le lit", Béatrice Casadesus a peint un triptyque et un papier. On y retrouve l'accord vibrant du bleu et de l'or qui font la splendeur de l'ouvrage.

    Sur le palier qui mène à l'escalier on redécouvre le premier ouvrage paru aux Editions Ecarts en 1976 : "Les Illuminations" d'Arthur Rimbaud illustré par Claude Georges. L'accord entre textes et images est si fort qu'il en est bouleversant. Les quelques oeuvres du peinture accrochées sur les murs permettent de se remémorer la qualité de cet artiste décédé il y a 20 ans et injustement sous estimé.

    IMG_5326.JPGDans la cage d'escalier les femmes détourées de Colette Deblé s'envolent jusqu'à la vitrine où se déploient les cinq livres imaginatifs, colorés, plein de vie qu'elle a réalisés avec Jean Lissarrague et des auteurs tel que Maurice Benhamou, Louis Dire ou le grand poète portugais Eugenio de Andrade.

    Plus loin, quelques ouvrages manuscrits et enluminés à la main par Pierre Fichet ou Florence Lissarrague.

    La dernière salle est consacrée  à la maquette du livre actuellement en cours : "Le sang sourd de la Nuit", texte que Gilbert Lascault a écrit spontanément, saisi par la force de certains dessins de Philippe Hélénon. Cette maquette est une ouverture sur l'avenir : l'aventure d'Ecarts n'est pas close, des livres sont en cours, à venir.

    Jean LISSARRAGUE, Les Editions ECARTS. Poésie et peinture, le livre en partage. Centre Joë Bousquet et son temps - 53 rue de Verdun - 11000 Carcassonne (Tél : 04 68 72 50 83) jusqu'au 28 février. ouvert du mardi au samedi de 9 h à 12 h et de 14 h à 18 h.

     

  • Loïc Le Groumellec ( par Sylvie )

    Le motif est sévère, nu et inquiétant; la surface brillante, la matière épaisse, le graphisme simplifié et la gamme limitée aux seuls noir et blanc. Réduites à ce descriptif sommaire les oeuvres de Loïc Le Groumellec exposées à la galerie Templon pourraient apparaitre consternantes de pauvreté.

    Le Groumelec.jpg"Mégalithes et maison" 2008, 120x110 cm, est l'une d'entre elles. Un titre qui est aussi un thème récurrent chez cet artiste breton né en 1957 dont la motivation semble la peinture elle-même. Toujours les mêmes sujets - mégalithes, croix, maisons - les mêmes couleurs et une même sobriété. Comment avec si peu de moyens une oeuvre peut-elle dégager une telle impression de mystère, de mélancolie et s'avérer si attachante ?

    Car rien ne s'ajoute à ces formes presques abstraites accolées les unes aux autres. Il n'y a que les ombres pour souligner leur volumétrie et les nuances de gris pour faire palpiter leur environnement. Terre et ciel se confondent dans une lumière incertaine, une sorte de pénombre qui pourrait être l'aube, le couchant, une grisaille pluvieuse ou un brouillard. Dans cet entre-deux les formes elles-mêmes se différencient peu. Les volumes sont presques semblables et tous verticaux. Seul diffère légèrement le traitement de ces blocs monolithiques, plus ou moins ovoïdes  et de guingois. Sans la double pente anguleuse centrale qui rappelle un édifice et une proportion monumentale, ils tiendraient aussi bien de curcubitacés géants à la peau grumeleuse que de buissons épais ou de menhirs.  L'oeil fait face à une entité incongrue, centrée sur la toile,  ilôt bloti replié sur lui-même, loin du monde. Dedans, c'est le silence, dehors, c'est un grand vide. Quelle solitude.

    L'artiste s'explique:" ma réflexion est basée sur des oppositions. Toute la structure repose sur ces conflits: poser la peinture mais avec une technique de l'effacement au chiffon, le noir/le blanc, la racine/l'élévation, la déconstruction/la reconstruction, la masse d'un religieux profane, la croix chrétienne et la croix tellurique

    De ce presque rien tout en retenue et symboles nait, dans l'épaisseur de la laque industrielle miroitante retirée à certains endroits pour mieux faire apparaitre le motif noir profond, la douceur, la tendresse rassurante d'une solidarité humaine dans la tourmente. La fine croix, à gauche, rassemble un peu plus cette communauté. Curieusement, elle ne coiffe pas le bâti. Est-ce à dire qu'il y a autant de transcendance à trouver dans la nature que dans l'homme ou dans une chapelle ? A chacun d' interpréter selon ses aspirations religieuses ou païennes.

     Plus je regarde cette oeuvre simplissime, plus elle me parait picturalement forte et chargée d'un non-dit éloquent.

    Galerie Daniel Templon, impasse Beaubourg 75003, Paris. Tel: 01 42 72 14 10. Jusqu'au 31 décembre 2008.