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  • Tatiana Trouvé (par Régine)

    Je connaissais le nom de Tatiana Trouvé, peu son oeuvre. Exposé à Beaubourg après avoir obtenu le prix Marcel Duchamp, c'était l'occasion d'en approcher le travail qui, je l'avoue, me laisse perplexe.

    Je regarde, j'essaye de comprendre, je m'amuse un peu, mais... quel est le propos qui sous-tend cet ensemble d'espaces manipulés, de dessins souvent très noirs et d'objet en fonte disséminés sur le sol. Quel en est le fil conducteur ?

    Je m'acharne à examiner de près.

    Deux installations introduisent et ferment l'exposition. Dans la première, dès le couloir qui mène à l'espace 315, on est invité à se tordre le cou pour voir sur la gauche, derrière une vitre, des bonbonnes de gaz de différentes tailles, posées sur un plancher mouillé et reliées au plafond par de fins tuyaux ainsi qu'une porte entrouverte. Que s'est-il passé dans ce lieu ? un incendie, une inondation ? On entre à l'intérieur et une autre vitre est ménagée dans le mur pour apercevoir l'envers de ce décor et les visiteurs qui arrivent. Où veut-on en venir ?

    Pour la deuxième, le fond de la salle d'exposition a été restructuré par l'adjonction de deux petits murs à angle droit de 1,20 m de hauteur chacun percé de trois portes fenêtres très basses. Je me mets donc à quatre pattes, et aperçois au bout d'un long couloir la personne qui m'accompagne. Mais comment cela est-il possible puisqu'elle se trouve, également à 4 pattes, devant les trois petites portes vitrées, à 90° sur ma gauche et que le mur du fond est fermé ? Ma logique vacille, mais je finis par saisir que l'intersection des trois couloirs est dotée de miroirs qui, non seulement procurent une impression de profondeur, mais courbent l'espace à angle droit. Rétrospectivement je comprends que la première installation fonctionne selon le même principe.

    Une grille métallique noire scinde la salle d'exposition en deux Sur les murs sont accrochés de nombreux dessins, très beaux, très dépouillés, très noirs. Ils représentent des chambres, des ateliers, des bureaux où dedans et dehors s'entremêlent. Ils sont dans l'ensemble d'une grande profondeur de champ. Certaines formes sont tracées à la mine de plomb, d'autres, découpées dans du papier métallique, apparaissent et disparaissent tels des fantômes, au grès de nos déplacements.

    Quel est la fonction des objets en fonte posés par terre ? Une corde se dresse figée dans l'espace figurant, on s'en doute, le temps arrêté.

    Aux deux extrémités de la pièce, par un trou dans le mur, s'écoule de façon continue une poussière noire et brillante formant deux tas qui ne cessent de grossir.

    Tout cela est un peu provoquant et ne manque pas d'humour, mais quel en est le sens ?

    L'exposition s'appelle "4 beetween 3 and 2". Elle fait donc référence à une quatrième dimension qui s'insèrerait entre la deuxième, celle des dessins, et la troisième, celle des objets.

    En effet, l'espace de la série des dessins à la mine de plomb et au crayon, intitulés "Remanence" est changeant, sa réalité nous échappe, extérieur et intérieur se mêlent comme dans le souvenir et le rêve ; les objets, disséminés sur le sol, d'ailleurs souvent repris dans les dessins, ne sont pas identifiables, ils peuvent être ceci ou cela. Les installations instaurent le doute sur ce qu'on voit. A suivre l'artiste, la réponse à notre interrogation est à trouver dans l'expérimentation.

    Pour elle cette quatrième dimension est le temps et c'est dans le jeu des dimensions, des échelles, des perspectives, des correspondances entre les divers éléments de l'exposition qu'il s'insère et qu'elle tente de nous rendre sensible.

    Ce n'est pas tant pensai-je la durée qui, elle, est symbolisée par la poussière noire qui s'écoule et qui finira eput-être par recouvrir l'exposition, que le temps du rêve et du souvenir, celui où les objets ont perdu leur utilisé, où les lieux sont des non lieux, où les personnes sont inatteignables. C'est celui que Marcel Proust a tenté de capter par l'écriture et que l'artiste essaye ici de nous faire toucher du doigt.

    Un tel travail n'a rien de séduisant, ce n'est pas sur ce registre que Tatiana Trouvé joue, il est minimal et intellectuel, mais il ouvre un territoire virtuel au coeur même du visible. L'essentiel se déroule sur un autre plan que celui qui compose nos systèmes de références ordinaires, sur un autre plan que ce qui est donné à la perception.

    Morale de cette histoire : Pas de découragement ! L'oeuvre de Tatiana Trouvé pose simplement de façon contemporaine la question qui est au coeur de toute oeuvre d'art, celle de l'espace et du temps.

    P.S. Aucune photo n'accompagne ce texte car à Beaubourg elles sont interdites. Il ne vous reste plus qu'à aller vous rendre compte sur place.

    Centre Pompidou. ESpace 315, Niveau 1. Tous les jour sauf mardi de 11 h à 21 h. Jusqu'au 29 septembre.