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  • "Elles font l'abstraction" (par Régine)

    N'hésitez pas à double cliquer sur les images pour les agrandir.

    Avant sa fermeture le 23 Août, je vous conseille vivement d'aller voir l'exposition "Elles font l'abstraction" à Beaubourg et ce pour plusieurs raisons. Non seulement on y voit des oeuvres magnifiques et on y découvre le travail passionnant de beaucoup d'inconnues, mais elle permet de constater le rôle essentiel joué par nombre de femmes artistes dans le développement de l'abstraction. La diversité des mediums qu'elles ont explorés a aussi contribué à décloisonner les genres et à ouvrir des portes à leurs contemporains. Cette histoire de l'abstraction au féminin est donc élargie à d'autres domaines que la peinture ou la sculpture : photographie, cinéma, textiles, art décoratif, danse. Afin aussi de dépasser le canons occidentaux, l'exposition inclut des artistes d'Amérique latine, du Moyen Orient, d'Asie et d'Afrique.

    L'invisibilité des artistes femmes dans l'histoire de l'abstraction est due au fait qu'elles furent très peu exposées. Avec "Elles font l'abstraction" c'est la première fois qu'une exposition propose une histoire de l'abstraction depuis ses origines jusqu'aux années 1980 montrant l'apport spécifique des artistes femmes à ce nouveau langage du XXème siècle.

    La richesse de cette exposition, qu'il est préférable de voir en deux fois tant elle est importante, rend son plan complexe mais approximativement chronologique. Parmi tant d'autres voici quelques très belles découvertes. C'est une artiste anglaise de la fin du XIXème siècle, Georgiana Houghton (1814-1884), qui ouvre l'exposition. En effet les petites gouaches ou aquarelles ici exposées sont fascinantes. A de multiples lignes sinueuses tracées dans des couleurs délicates se superposent, telle une dentelle, une multitude d'entrelacs et de fines volutes de gouache blanches IMG_5143.JPG(photo 1). Cette artiste spirite et medium tente d'exprimer, par ses oeuvres abstraites, la connexion entre le visible du monde et l'invisible des esprits de l'au-delà. La suite de l'exposition nous confirme en effet que les racines de l'abstraction sont largement spiritualistes. Ainsi en est-il avec des oeuvres très différentes les unes des autres telles que IMG_5146.JPGla belle série d'huiles sur toile très dépouillées et proches des tantras bouddhiques d'Hilma af Klint (1862-1944) (photo 2), ou l'oeuvre méditative et très épurée d'Olga Fröbe Kapteyn (1881-1962). Autant de révélations d'artistes totalement oubliées jusqu'à ce jour.

    On découvre avec intérêt que plusieurs femmes ont fait partie du mouvement artistique peu connu appelé Vorticisme. Fondé en 1914 par Ezra Pound, les artistes adhérents à ce mouvement tentent, par des formes géométriques complexes, d'évoquer l'énergie des villes et des machines. L'huile sur bois de Jessica Dismorr (1885-1939) interroge et renverse les notions d'espace et de gravité, la petite aquarelle et graphite sur papier de Dorothy Shakespear (1886-1973) avec ses diagonales et ses couleurs raffinées, suggère, malgré sa petite taille, la puissance du mouvement mécanique. AIMG_5149.JPGvec les oeuvres d'Helen Saunders (1885-1963), (photo 3) signataire du manifeste du vorticisme, c'est la force qui se dégage des formes, l'originalité du cadrage, sa façon de juxtaposer les couleurs qui retiennent l'attention.

    La grande salle réservée à l'avant-garde féminine russe permet de prendre la mesure de son extraordinaire créativité. La reconnaissance obtenue de leur vivant de la part de leurs pairs et du public a permis à ces femmes d'exposer à plusieurs reprises, de voyager, d'échanger et d'acquérir des connaissances sur les grands mouvements artistiques de leur époque. IMG_5151.JPGOn s'émerveille devant la façon élégante dont Olga Rosanova (1882-1918) structure ses oeuvres par la couleur, devant la vitalité et la beauté des gouaches sur toile de Natalia Gontcharova (1881-1962) (photo 4), IMG_5153.JPGdevant la puissance et la construction extrêmement élaborée des tableaux d'Alexandra Exter (1882-1949) (photo 5). On apprend aussi que toutes ces femmes et quelques autres ont fait des décors de théâtre, se sont intéressées à l'artisanat, aux textiles.....

    Cet intérêt pour d'autres mediums sera une des caractéristique de l'Ecole du Bauhaus où les femmes seront d'ailleurs systématiquement orientées vers l'atelier de tissage. IMG_5156.JPGQuelques chefs d'oeuvre exposés ici en sont de magnifiques exemples, tel le tapis noué de Gertrud Arndt (1903-2000) que Gropius avait pris soin de mettre dans son bureau ou la tenture de Benita Koch (1892-1976) (photo 6) dont la finesse des équilibres colorés évoquent un rythme musical tel certaines oeuvres de Paul Klee.

    IMG_5147.JPGLe talent plurivalent de femmes telles que Sonia Delaunay (1885-1979) ou Sophie Taeuber Arp (1889-1943) est mis à l'honneur car une salle entière leur a été réservée et c'est avec une grande jouissance qu'on contemple la couverture de berceau (photo 7), IMG_5154.JPGdiverses reliures ou boîtes peintes et la grande toile "Prisme électrique" de la première et la sublime composition dada (photo 8), les sculptures et même les vêtements de la seconde.

    Représentées par quelques unes de leurs très belles toiles, elles sont toutes là les grandes artistes, nées entre 1920 et 1930, qui ont marqué les différents courants de l'abstraction des années 1950/1970. Citons :IMG_5164.JPG Lee Krasner que l'oeuvre de son mari James Pollock a occultée, Shirley Jaffe, Aurelie Nemours, Joan Mitchell, Helen Frankentaler, Judith Reigl, Agnès Martin, Vera Molnar et bien d'autres moins connues telles la chinoise Irene Chou, la libanaise Huguette Caland, l'indienne Arpita Singh avec l'échafaudage si graphique de ses grilles, la japonaise Atsuko Tanaka qui fit partie du groupe Gutai et dont l'Electric dress nous fascine (photo 9).

    Nombreuses aussi sont les femmes qui, par leur talent et leur capacité à explorer de nouveaux medium, ont fortement marqué la sculpture abstraite. A part les plus célèbres d'entre elles comme Louis Bourgeois, Barbara Hepworth à laquelle une salle entière a été heureusement réservée, ou Eva Hesse, on redécouvre avec bonheur plusieurs 'entre elles qui, hélas, furent un peu oubliées. IMG_5160.JPGAinsi en fut-il pour la polonaise Katarzyna Kobro (1889-1951) dont le titre donné à la sculpture de tôle d'acier peint et ici exposée Sculpture spatiale (photo 10) indique que sa préoccupation première était bien d'intégrer ses constructions à l'espace environnant ; IMG_5183.JPGla française Parvine Curie (1936) dont la très belle et très massive oeuvre intitulée Mère Matmata, sculptée dans le bois d'Iroko évoque un abri, un refuge et peut-être la solidité du lien maternel (photo 11) ; l'argentine Alicia Penalba (1913-1982) dont l'Hommage à César Vallejo s'élance ici vers le ciel telle la flèche d'une cathédrale gothique ; enfin Martan Pan (1923-2008), dont la sculpture en forme de mandibule Le teck fut partie prenant du ballet éponyme de Maurice Béjart avec Michèle Seigneret. La vidéo de ce ballet est ici projetée. Le fil d'acier servit de medium aux sculptrices américaines Claire Frankenstein (1908-1997) etIMG_5186.JPG Ruth Asama (1926-2013), pour créer des formes en expansion chez la première (photo 12), pour évoquer son rapport à la nature pour la seconde. Enfin avec l'utilisation du textile, plusieurs artistes bousculèrent les hiérarchies qui séparent art et artisanat.IMG_5176.JPG Citons à titre d'exemple Magdalena Abakanowicz (1930-2017) avec sa série des Abakans, sorte de gros cocons suspendus au plafond, Jagoda Buic (1930) et son monumental Fragment of the night (photo 13), Sheila Hicks (1934) avec ses anneaux d'écheveaux.

    Mais l'exposition ne s'arrête pas là. En plus de la danse et du cinéma, elle montre que dans le domaine de la photographie les femmes, au début du siècle, exploraient aussi les chemins de l'abstraction et présente les travaux des pionnières en la matière. Nombre d'entre elles pratiquèrent le photogramme, technique qui se passant de l'appareil photographique permet d'utiliser la lumière comme medium. IMG_5179.JPGAinsi Lotte Jacobi (1896-1990) s'intéresse particulièrement au mouvement, ce qui la rapproche de l'abstraction gestuelle et de la danse contemporaine, Carlotta Corpron (1901-1988) multiplie les solarisations, les dessins lumineux, le superpositions de négatifs pour donner des oeuvres totalement abstraites, Ida Lansky (1910-1997), avec ses étonnantes compositions abstraites met en avant le jeu de la lumière et de l'ombre (photo 14).

    Comme vous pouvez le constater, cette exposition est d'une très grande richesse et fait sortir de l'ombre nombre d'artistes aujourd'hui largement oubliées. Elle suggère une question : combien sont-elles celles qui, tout aussi talentueuses, sont sans doute définitivement tombées dans l'oubli ?

    "Elles font l'abstraction" - Centre Georges Pompidou - Place Georges Pompidou, 75004-Paris. jusqu'au 23 août. Ouvert tout les jours sauf mardi de 12 h à 22 h. Entrée sur présentation du passe sanitaire.