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  • Jean Tinguely (par Sylvie).

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    Etre confiné peut avoir du bon.

    En levant la tête du livre en lecture, l'imbroglio du tableau sur le mur en face me saute aux yeux. Je me rends compte de ce que l'habitude anihile toute capacité d'examen. On ne fait plus attention. Puisque confinement il y a, le moment est propice à y remédier, par exemple devant cette oeuvre de Jean Tinguely  (1925-1991), multicolore et dansante. Peu importe qu'elle ne soit qu'une reproduction sur papier.

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    Devant le désordre apparent de la composition abstraite je découvre tout à coup les structures et la rationalité de ce qui, au premier regard, n'a pas de logique : des cercles, comme jetés sur la toile, les uns pâles, les autres soutenus, deux grands à gauche, cinq autres de taille variable à droite; de larges traits impératifs de part et d'autre ; de minces traits en escalier vers le haut ou vers le bas, en diagonale ; d'autres en échelle verticale plus ou moins centrés... autant d'esquisses de montées et de descentes. Voilà, à peu près, pour les lignes, ce qui ressort en clignant des yeux. Allez comprendre quelque chose !

    La couleur crépite dans une gamme de primaires : le chaud et le froid se côtoient, se mélangent. De l' épicentre, un aplat de jaune, rouge et bleu - couleurs dominantes de l'oeuvre -  se déploie en arc de cercles,  comme un bouquet, un feu d'artifice ou un spectacle de jongleur, précédés et suivis d'un trait bleu directif. Tiens, voilà encore de gros traits, barbouillés de brun au centre, qui s'entrecroisent comme des baguettes de Mikado, accentuant par leur orientation, le mouvement tournant général.      

    Rien ici n'est statique. Ce n'est pas surprenant de la part de Tinguely dont on se rappellera l'appartenance aux mouvements des années 60, l'art cinétique et les Nouveaux Réalistes.

    Une ligne de contour clôt l'image tout en ménageant des portes ouvertes : tantôt, elle suit le bord de la toile, bloquant le regard en haut puis s'échappe en zigzag à droite. et se prolonge jusqu'en bas en un trait rouge vertical, une vraie barrière ! Signe qu'elle participe également de son mouvement interne, elle s'évanouit alors en une écriture-signature de moins en moins lisible mais explicative : "Meta maxi pénétrable transversable, Alu Fer, bois, totalement...1987 van Roll Jean Tinguely " Ce n'est pas , à proprement parlé, un titre mais sans doute une sorte de mémo pour une sculpture passée ou à venir dont l'artiste a le secret et qui mêle toutes sortes de matériaux du quotidien animés par une machinerie complexe. Tinguely est le premier artiste a avoir introduit le mouvement dans la sculpture, une manière de s'approprier le réel.

    Au delà de l'explosion de couleurs et de lignes, c'est toute une histoire de liberté, de dynamique, de jeu et de poésie, qui émane de ce tableau, des thématiques qu'il est toujours bon d'avoir en tête, et aujourd'hui plus qu'hier. 

    Passé le confinement, allez au chevet de Beaubourg, voir la malicieuse agitation de la fontaine, oeuvre du couple Jean Tinguely- Niki de Saint Phalle. D'ici là laissez vous porter, comme moi, chez vous, par  le tohubohu d'une oeuvre, celle là ou une autre..

     
     
     
     
  • Unica Zürn (par Régine)

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    Le MAHHSA (Musée d'Art et d'Histoire de l'Hôpital Sainte Anne) ne paie pas de mine. Situé dans l'enceinte de l'hôpital, non loin de l'entrée, on y accède en descendant un escalier, légère sensation de se rendre dans un lieu de relégation. Cette première impression se dissipe rapidement en entrant dans les salles d'expositions, voûtées, vastes, bien éclairées et dans lesquelles la très belle exposition d'Unica Zürn se déploie.

    D'Unica Zürn je savais peu de choses sauf qu'elle était allemande et avait été la compagne d'Hans Bellmer. Je ne connaissais pas ou très peu sa fascinante oeuvre graphique, ses écrits et la multitude d'anagrammes qu'elle avait composées. Cette exposition fut donc une révélation et un choc.

    J'appris donc qu'elle était née à Berlin en 1916 et s'était donnée la mort à Paris en 1970. Femme à la vie tourmentée et à la fin tragique, elle rencontre Bellmer en 1953, quitte mari et enfants pour le suivre à Paris. Elle y rencontre les artistes surréalistes : Jean Arp, Max Ernst, Man Ray, Marcel Duchamp... et les écrivains : André Breton, Mandiargues et surtout Henri Michaux. Elle découvre le surréalisme, l'écriture et le dessin automatique. Mais si son oeuvre est influencée par cet environnement et par le travail de son compagnon elle est éminemment personnelle. Très fragile elle fréquenta à plusieurs reprises hôpitaux et cliniques psychiatriques, notamment l'hôpital Ste Anne (où elle séjourna du 26/09/61 au 23/03/63). Poignante, pathétique, tragique, son oeuvre graphique traduit une douleur psychique aussi bouleversante, bien que très différente dans son expression, que celle d'Artaud.

    Rêve et réalité se confondent dans l'esprit d'Unica Zürn et cette confusion lui permet, en laissant libre cours à son imaginaire, de dessiner, non le monde extérieur, mais son univers mental. Les dessins ici exposés recouvrent une période qui va de 1955 à 1966, soit environ une dizaine d'années et permettent de repérer les caractéristiques qu'on retrouve dans toutes son oeuvre et qui la rendent si fascinante.

    Regardons par exemple ce dessin de 1955 (photo 1)IMG_20200304_0002.tif.jpg. Comme nombre d'autres il est dessiné à l'encre de Chine noire avec une minutie et un foisonnement de détails qui obligent à le regarder de près. Le visage et le corps de ce personnage mi animal mi humain sont partagés en leur milieu par une suture au petit point serré. Ses yeux sont fixes et inquiétants, son abdomen est celui d'un gros insecte mais des manches bouffantes cachent ses bras, de l'une sort une main couverte d'écailles avec de longs doigts très effilés et chevelus aux extrémités. Tout un réseau de filaments, tel celui d'une toile d'araignée dans laquelle seraient retenus prisonniers de tout petits insectes, enserre ce personnage. Un jus de gouache blanche exalte cet être si insolite. IMG_20200304_0003.tif.jpgDans un autre dessin de la même année, plusieurs insectes flottent dans la page (photo 2). Ils sont aussi dessinés à l'encre de Chine avec la même minutie et délicatesse de trait. Leurs pattes se prolongent en longs filaments et un jus brun, blanc par endroits, colore l'ensemble.

    Cette minutie, cette attention aux textures, ces êtres hétéroclites, ces réseaux de filaments qui emprisonnent, se retrouvent dans bien d'autres oeuvres, notamment dans celle de 1957 ici représentée (photo 3la raie.jpg). C'est un poisson, oh combien inquiétant qui occupe tout l'espace. Cette oeuvre exécutée sur fond noir à la gouache et au pastel est d'une délicatesse infinie de trait et de couleur. L'animal, sans doute une raie, malgré son désir fou d'avancer, en est empêchée par tous les filaments qui l'enserrent et qu'il traîne derrière lui ainsi que par le monstre au doigt crochu qui le guette. IMG_20200304_0004.tif.jpgDernier exemple avec ce dessin de 1960 exécuté à l'encre rehaussée d'aquarelle et de gouache (photo 4). La tête d'un monstre émerge de la feuille et l'occupe toute entière. De son nez ou de sa bouche s'échappent de fins serpents mais ses yeux rougis implorent l'indicible.

    Les yeux sont partout dans l'oeuvre d'Unica Zürn. Il se cachent dans les moindres replis de ses animaux fantastiques. Dans les dessins à tendance orientale de 1967 qui forment le recueil d'eaux fortes de l'ouvrage intitulé "Oracles et spectacles" des grappes de visages aux grands yeux évoluent et se déforment avec souplesse sous notre regard IMG_20200304_0007.tif.jpg(photo 5). Yeux multiples, formes ondoyantes et indéterminées, visages monstrueux, le réel est devenu inconsistant et en perpétuel mutation. Voyez encore ce dessins de 1965 (photo 6)IMG_20200304_0008.tif.jpg, légèrement coloré à l'aquarelle, le personnage a deux visages, sorte de Janus mélancolique. Sa chevelure magnifique et flamboyante rappelle les coiffures sophistiqués des danseuses qui ornent les temples d'Anghor, mais dans celle-ci ondulent plumes et serpents. Le personnage est pourvu de plusieurs yeux, nez et bouches. De son coup surgissent des serpents munis d'une multitudes d'yeux ou de vulves, on ne sait pas trop.

    Ces caractéristiques se retrouvent aussi dans des oeuvres plus apaisées mais fantomatiques, telles ces deux petits huiles de 1956 qui entraînent dans des lieux enchantés d'une grande fragilitéIMG_20200304_0006.tif.jpgIMG_20200304_0005.tif.jpg (photos 7 et 8). Le dessin de l'une est exécuté d'un impalpable trait blanc sur fond noir, sorte d'exquis palais de cristal qu'un rien pourrait faire disparaître. L'autre, tout aussi délicat, dessiné finement à l'encre rouge, se dresse dans un halo de couleur jaune et bleu. De la première s'envole un papillon laissant derrière lui une vibrante traînée lumineuse, et sur le flanc de l'autre pousse une rose noire. Wols et Klee ne sont pas loin.

    De plus Unica Zürn n'a pas seulement dessiné, elle a aussi écrit plusieurs livres dont "L'homme jasmin", "Sombre printemps", "Vacances à Maison blanche" et composé des multitudes d'anagrammes qu'elle incluait parfois dans ses dessins. Quand on sait qu'une anagramme consiste à inverser ou à permuter les lettres d'un mot ou d'un groupe de mots pour en extraire un sens ou un mot nouveau on saisit le lien qui réunit ces deux formes d'expression. Les phrases comme les êtres peuvent changer de formes, prendre d'autres significations.

    Pour Unica Zürn, comme pour Gérard de Nerval ou Antonin Artaud, il n'y a pas de différence entre le réel, le rêve ou le délire. Ils créent pour sonder leur propre univers et aussi étrange que cela puisse paraître ils nous touchent profondément, on sent bien qu'ils nous parlent aussi de nous-même.

    Unica Zürn - MAHHSA - Hôpital Ste Anne, 1 rue Cabanis, 75014-Paris. Ouvert du mercredi au dimanche inclus de 14 h à 19 h. Exposition jusqu'au 31 mai 2020.