Frédéric Benrath au Monastère Royal de Brou (par Régine)
Rien de tel qu'une rétrospective pour mesurer la force du propos et l'ampleur d'une oeuvre. L'exposition de Frédéric Benrath (décédé en 2007) au Monastère Royal de Brou en est une belle illustration.
Elle met en effet à jour de façon frappante son incessante recherche d'un espace ouvert, infini et insaisissable. Façon de traduire sa quête d'une transcendance et le sentiment de permanence de l'impermanence si bien décrit par Nietszche dont la pensée l'avait profondément marqué.
Une présentation chronologique très bien pensée met en évidence les différentes étapes de son travail tout en soulignant sa cohérence. On saisit comment peu à peu l'artiste va se dégager de la représentation d'un univers tumultueux où s'affrontent des masses en mouvement parfois fortement griffées, comment plus tard les noeuds qui se débattent dans le bas de certaines toiles vont se dénouer pour laisser place au seul combat de l'ombre et de la lumière et aboutir à des tableaux d'un extrême dépouillement où la couleur atteint une lumineuse transcendance.
Des constantes, telles que l'horizontalité, un espace se prolongeant au delà de la toile, une lumière venant de nulle part, un chromatisme sensuel et raffiné, se retrouvent dans toute son oeuvre. Le titre de ses tableaux ou de ses séries fonctionne comme le révélateur de ses affinités et de son désir d'absolu.
Parmi la soixantaine d'oeuvres accrochées dans les belles salles voûtées du Monastère, en voici quelques unes, choisies dans les différentes époques, qui me semblent appuyer particulièrement mon propos.
Dès l'entrée, la diagonale qui traverse "L'hommage à Ruysbroek l'admirable" (photo 1), une grande toile de 1959 (130 x 195), vous entraîne avec force dans le tourbillon d'une nuée rose émergeant des ténèbres et qui tente de s'échapper dans un univers qu'on imagine sans limite. Tout au long de l'exposition cette puissance d'attraction ne quittera pas le spectateur.
La construction de la "Dédicace à C.D. Friedrich" (photo 2), un petit tableau de 1964 (65 x (54) n'est pas loin de celle du "Moine au bord de la mer". Un horizon débordant le cadre partage l'espace en deux parties. Dans le bas très sombre une énergie lumineuse irradie de deux cocons pris dans des filaments bleux et jaunes, vie qui chercherait à percer alentour. Dans le haut une lumière émerge des profondeurs, unifie les ocres et les verts et les tient en équilibre sous un mince horizon noir.
Les noeuds qui palpitent dans le bas de la série "L'exporation de l'air" se défont peu à peu pour aboutir à des oeuvres comme "Capitale de la douleur" de 1969 (photo 3) où, dans un mouvement ascendant, de larges stries horizontales font se chevaucher le noir, le bleu, l'ocre et le blanc. Chaque éléments est infiltré par les autres et leur partage ne se fait pas sans tumulte. Le beauté des couleurs, leurs nuances, leur raffinement et leur puissance n'est pas exempte d'une grande sensualité. Le peinture de Benrath s'adresse directement aux sens ; comment ne pas ressentir physiquement la souffrance exprimée ici !
Puis les lignes vont se défaire pour se transformer en nuées de couleur. Dans le bas de "Sans titre" de 1978 (photo 4) un nuage mauve émerge d'un néant noir, se diffuse lentement, en rencontre un bleu, l'épouse et le repousse dans le noir qu'on devine dans le haut du tableau.
P0lus tard la ligne d'horizon, au delà de laquelle la couleur se transforme, est souvent placée très haut. Plusieurs exemple de la série "Mes Archipels" sont ici présents : "Diotima" (1987) "Si par delà la distance" (1989). L'espace s'y déploie sans fin et le spectateur, pris de vertige, se laisse emporter par ces lointains indéterminés. Dans "Inséparablement disparait le jour avec la nuit" (photo 5), 1991 (120 x 120) un orange rompu sort de l'ombre pour devenir peu à peu lumineux. Il se dissout dans une bande horizontale jaune aux contours incertains dont le haut s'évanouit dans un horizon gris qui lui-même disparait dans une vapeur blanche semblable à une buée. Oui la nuit et le jour sont indissolublement liés et tout n'est qu'un "éternel retour". On retrouve encore ici ce combat de l'ombre et de la lumière, dualité présente tout au long de son oeuvre.
Puis cet horizon disparaît complètement. Il est parfois remplacé par une ligne estampée dans la couleur "Titre manquant" (photo 6) 1998 (120 x 120), "Saturation", 1999, (120 x 120). Tableaux qu'il voulait disait-il "libérés de toute accroche, de tout contraste, sans commencement ni fin, des flux de couleurs où circulent les sensations, où bat le coeur et où germe l'émotion". Dans le grand "diptyque" bleu et beige de 2002 (200 x 160) qui clôt l'exposition un rectangle est incisé dans le panneau de droite ; serait-ce une fenêtre ouverte vers l'invisible ?
Comme le Musée National de Port Royal des Champs où se tient parallèlement une expositions sur les 10 dernières années du travail de F. Benrath (voir ci-dessous l'article "Benrath à Port Royal" par Sylvie), le splendide Monastère Royal de Brou, avec son église gothique, sa succession de cloîtres, ses salles voûtées où se tient cette rétrospective, exalte l'intériorité et spiritualité de cette peinture.
Complétées par l'exposition parisienne qui se tient actuellement à la Galerie "L'Or du temps", 25 rue de l'Echaudé, 75006-Paris), espérons que cette série de manifestations de l'été 2011 autour de l'oeuvre de ce peintre exceptionnel permettra à un plus large public de le connaître et de prendre conscience de son importance.
Frédéricd Benrath Couleurs d'infini - Monastère Royal de Brou - 63 bd de Brou - 01000-Bourg en Bresse (04 74 22 83 83). Du 18 juin au 18 septembre 2011. Ouvert tous les jours de 9 h à 18 h